Il est quand même rigolo de constater que les nouvelles mouvances dans l’industrie de la musique sont, en fait, les vestiges de pratiques d’antan. L’économie des singles, par exemple, qui est actuellement portée par les boutiques en ligne à la iTunes, permettant les transactions à la pièce, évoque l’âge d’or des 45 tours. Idem pour les récentes percées en commandite culturelle à la sauce 2.0. Après tout, en investissant un ‘tit 2$ dans la production de l’album d’un tel – ou dans l’achat de l’élusive vidéo où Rob Ford fumerait du crack –, ne nous hissons-nous pas au même niveau que Laurent de Médicis et autres grands mécènes de la Renaissance? M’enfin, sommes-nous pris dans une boucle cyclique ou devons-nous conclure qu’une certaine cabale d’artistes et de bonzes de labels pilote une DeLorean volante? N’ayons pas peur des vraies questions: est-ce que Marty McFly aurait quitté son groupe de rock et se cacherait désormais dans les rangs de Misteur Valaire!?
Plus tôt cette semaine, MV dévoilait de nouvelles pièces lors de deux concerts intimistes donnés devant une poignée d’admirateurs ayant poussé leur fanatisme un peu plus loin en acceptant de financer mensuellement le collectif. Après avoir secoué puis inspiré la gent musicale québécoise en donnant son album Friterday Night, puis en finançant en partie Golden Bombay en échange, notamment, d’un accès au lancement, Misteur Valaire fait mousser un disque à venir – Bellevue Avenue, le premier extrait, est maintenant en circulation – en plus de Ghoster, une nouvelle plateforme de financement où les mélomanes peuvent verser un montant mensuel fixe à un artiste de leur choix en échange de «bonbons». À cet effet, les prestations de lundi et mardi au Centre Phi étaient destinées aux donateurs versant 9$ par mois au collectif. Au-delà de l’aspect pécuniaire (9$ par mois, soit 108$ par année, pour un spectacle «intime» à 300 places peut sembler onéreux pour certaines bourses), la bande de MV innove localement tout en s’inscrivant dans une mouvance en vogue ailleurs dans le monde et dans d’autres domaines.
Par exemple, en mars dernier, le blogueur américain Andrew Sullivan permettait aux habitués de son blogue The Dish de prendre un abonnement annuel pour avoir accès aux articles complets sur son site. Une stratégie qui n’est pas sans rappeler les paywalls des journaux de la trempe du New York Times ou encore du Devoir, mais remixée au goût du jour. En misant sur le parrainage communautaire – 19,99$ par année, mais un récent entretien dans The Atlantic révèle que plusieurs lecteurs versent davantage tant ils apprécient le site – et en mettant de l’avant l’indépendance de son équipe (sept personnes en tout) ainsi que son panache (le type est un des fers de lance du blogage américain), Sullivan a non seulement osé, mais a remporté son pari: des 900 000$ nécessaires pour financer le petit empire (frais de serveurs, équipement, salaires, etc.), The Dish a recueilli 400 000$ en souscriptions une semaine après l’annonce!
Mais, tout comme dans Retour vers le futur, un camion de purin n’est jamais loin…
Ainsi, de plus en plus d’artistes surfant sur cette vague se font chahuter par fans et médias. Il y a, bien sûr, le cas Amanda Palmer qui, après avoir subsidié un album à l’aide de ses admirateurs par le biais de la plateforme Kickstarter, a eu droit aux foudres de plusieurs musiciens en demandant à ses inconditionnels de l’accompagner sur scène tout au long de sa tournée en échange de bières et de câlins… (et c’est tout). Au-delà de ces abus, on remarque de plus en plus de questionnements au sujet de ces campagnes.
L’acteur, réalisateur et homme d’affaires Zach Braff, de son côté, a soulevé l’ire de plusieurs en s’inscrivant à la même plateforme pour alléger le fardeau fiscal de sa nouvelle production. Le bonhomme s’est fait brasser pas à peu près. Après tout, il est riche, célèbre, a déjà accès à bon nombre de décideurs ainsi qu’à d’autres mécènes d’Hollywood, et ose s’en remettre à un levier surtout utilisé par la relève pour produire ce qui devrait être une suite de Garden State, un film-culte qui a rapporté plus de 35 M$. Malgré tout, Wish I Was Here profite maintenant d’un «coussin» bonifié s’élevant à 3,1 M$ – Braff a fixé son objectif Kickstarter à 2 M$ – grâce à la générosité de ses fans.
Plus près de chez nous, la campagne de financement pour J’espère que tu vas bien 2 de David La Haye a été accueillie favorablement (et pourquoi pas!), et pourrait être annonciatrice d’un changement de paradigme au Québec en ce qui concerne ce genre de mécénat. Sans comparer La Haye à Braff (ce dernier n’ayant pas joué dans Un crabe dans la tête, sûrement un des meilleurs films québécois de notre époque), David circule déjà dans plusieurs rouages de l’industrie, autant grâce à sa carrière d’artiste qu’à son poste de PDG à Aviva, et le battage médiatique enviable de son humble démarche le prouve.
Est-il trop «big» pour haricot.ca – qui accompagne, habituellement, des projets culturels et communautaires d’inconnus – ou est-ce que le geste de La Haye témoigne, en fait, de la situation du financement de l’art québécois – si la coqueluche de Mirador doit faire du troc pour commanditer ses morceaux de bravoure, imaginez la relève! –, en plus de légitimer ce genre d’entreprises?
Dans un billet de blogue (à lire sur Voir.ca!) complétant l’article que l’on retrouve dans cette édition, Catherine Leduc revient sur le récent Forum de la chanson québécoise du CALQ où elle a décrié – larmes comprises – la pauvreté du soutien aux créateurs. En entrevue, elle a notamment dit «travailler deux ans à [s]es frais sur un disque qui passe dans les craques ensuite», avant de renchérir: «Qu’est-ce que je peux y faire? Je ne sais rien faire d’autre. On fait vraiment ça parce qu’on aime ça, parce que ça fait partie de nous.»
J’espère donc que le «success story» de La Haye (et de MV, bien sûr) encouragera d’autres grands noms de la culture québécoise – dont Leduc – à s’en remettre aux admirateurs, en plus du gouvernement, pour financer leurs projets. Après tout, si la rumeur veut que plus personne n’achète de disques (bien que des données récentes indiquent le contraire), pourquoi ne pas verser nos sous ailleurs!?
Article très intéressant ! …
À mon humble avis, le socio-financement est une excellente alternative ou complémentarité au financement public.
Que ce soit évidemment pour des producteurs/créateurs juniors, mais aussi pour les séniors d’ailleurs ! Pourquoi les films hyper-populaires avec une image de marque établie, avec des acteurs et/ou réalisateurs de prestige, ne pourraient pas solliciter des contributions aux fans en échange de produits créatifs (dvd du film) ou privilèges (invitations à la première, QnA, rencontres avec les créateurs etc) ???
Ça permettrait ainsi de pouvoir alléger l’enveloppe de financement public sur ces projets, et par le fait même, pouvoir octroyer la balance de ces argents publics économisés, à des réalisateurs et producteurs juniors qui en ont grand besoin, et en grand nombre.
Tout ce que ça demande est un effort de communication directe avec les contribuables intéressés par cet échange virtuelle … Point.
Dans le domaine du cinéma, toutes les jeunes boites de production se doivent de gagner leurs galons avant de pouvoir toucher des fonds publics substantiels provenant des institutions. Le socio-financement est donc LA possibilité de ne pas avoir à attendre trop longtemps.
Mon point de vue est que tous les artistes de tous les domaines ont tout avantage que le socio-financement devienne de plus en plus » mainstream » ! … C’est un » win-win situation » pour tout le monde; les institutions, les producteurs, les managers, les créateurs et les fans.
À titre personnel, si j’ai pu faire la promotion du site Haricot.ca à travers JQTVB 2, j’en suis plus que ravi pour tous ceux et celles qui utiliseront cette plate-forme par la suite, et qui n’auront pas à faire l’effort d’en expliquer le fonctionnement à monsieur et madame tout le monde.
Longue vie aux créateurs-entrepreneurs !!! … ; )
Salutations à vous tous et toutes ! …
David La Haye