Je dois vous avouer un truc: je commençais à en avoir sérieusement marre des Francouvertes.
Primo, le concours peut paraître longuet. Encore, en 2014, il s’étalera sur près de quatre mois! Puis, à peine remis, on a droit à tout le battage promotionnel autour de la période d’inscription pour l’édition suivante. Il faut également préciser que ce marathon musical se clôt presque invariablement en queue de poisson — du moins, en ce qui me concerne — alors que les concurrents les plus intéressants terminent deuxième, troisième, voire loin derrière au profit d’artistes ou de groupes qui sont parfois plus talentueux, certes, mais aussi diablement beiges.
Bref, je commençais à en avoir sérieusement marre. On remarque l’emploi de l’imparfait ici.
Même après avoir contribué à l’étape web cette année — volet où un paquet de gens liés de près ou de loin à ce concept nébuleux qu’est «la scène locale» tente d’épauler, voire d’aiguiller, la sélection des 21 participants en attribuant des notes aux candidatures reçues —, un certain spleen m’habitait. «Suis-je trop exigeant? Suis-je blasé? Qu’est-ce qu’on mange pour souper?», ce genre de trucs.
Puis, j’ai eu vent du repêchage final et c’est là que l’imparfait est intervenu.
À mon humble avis, les Francouvertes offrent ici l’une des plus belles vitrines de leur histoire.
Parmi les artistes retenus, soulignons la présence de l’explosif cowboy Philippe Brach, du méconnu, mais talentueux bonhomme folk Jérôme Charette-Pépin, de la charmante virtuose pop Joëlle Saint-Pierre, l’imprévisible Mathias Mental, le rappeur Bobby One, l’envoûtante Julie Blanche, les bêtes de scène des Hôtesses d’Hilaire ainsi que les bizarroïdes Deux Pouilles en Cavale.
En plus de la qualité — et variété — musicale qu’on y retrouve, cette sélection est également riche en parcours incroyablement particuliers. En voici trois: ceux de Maritza, P.A.P.A. et Jacques Bertrand Jr..
Nouveau départ pour Maritza
Maritza surprend d’emblée. Quand je lui demande pourquoi tenter l’aventure à ce point-ci de sa carrière, celle-ci rétorque. «Euh, quelle carrière?» Pow!
Il faut dire que, mine de rien, l’interprète a — bien malgré elle — marqué l’histoire de l’industrie musicale du Québec en étant de la première cohorte de la fameuse Star Académie québécoise. «C’est vrai qu’il y en a peut-être qui vont se demander ce que je fais là, mais j’ose croire qu’on a droit à plus d’une chance dans la vie», fait-elle valoir avant de confier qu’«en fait, je me considère vraiment comme une jeune artiste qui débute!»
Après cette expérience marquante à la télévision, la chanteuse enchaîne avec un premier album: le très «allô, les radios commerciales!» Comment j’feel. Des années plus tard, Maritza revient sur l’œuvre avec une autre réplique punchée: «Comment que j’quoi?!?», s’exclame-t-elle avant d’éclater de rire.
«En 2005, je présentais un premier album en tant qu’interprète», poursuit-elle après avoir repris son sérieux. «Je sortais d’une expérience très intense, je me cherchais, j’ai été vite étiquetée et je détestais ça! J’ai été happée par un courant sans trop savoir ce qui m’arrivait. Honnêtement, je n’étais pas prête à enregistrer un album, j’avais besoin de faire mes devoirs, comme on dit. Rapidement, j’ai senti que je n’étais pas à ma place, je ne trouvais pas de réelle satisfaction dans ce que je faisais. Il me manquait quelque chose… J’avais le syndrome de l’imposteur, je perdais le goût de la musique, je m’éloignais de moi et mes vieux démons me rattrapaient… Je me suis donc retirée avant de me perdre.»
Maritza s’est donc retrouvée à l’université en Intervention auprès des jeunes en difficulté. Des études qui, bien malgré elle (encore une fois!), allaient la ramener vers la musique. «J’étais entourée de musiciens, d’artistes, j’allais voir des shows et je découvrais des bands. Je me mettais plein de bonne musique dans les oreilles!», se rappelle-t-elle en citant les Feist, Bon Iver, Patrick Watson et autres Lhasa De Sela à titre de références. «Tout ça a mijoté en moi, m’a inspiré.»
Après des mois et des mois de tergiversations — «J’avais tellement de peurs, de doutes, d’insécurités. C’était comme un combat avec moi-même!», glisse-t-elle au passage — Maritza revient finalement à la charge en 2012 avec un maxi pop indé surprenant, plus en phase avec les radios universitaires que les Productions J, disons, et — surtout — plus personnel, selon l’artiste et jeune maman. «Ce projet-là constitue mes tout premiers pas en tant qu’auteure-compositrice-interprète, un nouveau départ musical. J’ai beaucoup appris grâce à de belles collaborations — José Major, Guillaume Chartrain, Émilie Proulx, David Thiboutot et Marie-Pier Labbé entre autres — et ça m’a donné une confiance qui m’avait fait défaut jusque-là.»
Bien qu’elle soit consciente qu’elle participe à nouveau à un concours musical, Maritza ne se sent pas très compétitive. «Je vois ça comme une façon de dire “Coucou! Je suis là, j’ai de la belle musique à partager et j’ai envie de me faire découvrir!”»
Le «retour» de P.A.P.A.
Avant de prendre par surprise le microcosme rap québécois avec son épatant projet P.A.P.A., Christophe Lefrançois retenait l’attention du grand public en 2012 en participant aux Francouvertes avec le collectif de Québec Feuilles et Racines.
Bien que le groupe ne s’est finalement pas retrouvé sur le podium, l’expérience a été particulièrement instructive pour l’artiste. Lorsqu’on qu’on lui demande ce qu’il a assimilé de cet épisode, Lefrançois est aussi bref que sincère. «L’humilité. Nous avions la tête enflée par un succès relatif et notre manque de maturité n’a pas su « dealer » avec ce dernier.»
Seconde tentative, donc, pour le rappeur qui évolue dans un style musical souvent sous-représenté aux Francouvertes (le dernier groupe du genre à avoir remporté la couronne? Loco Locass en 2000!). Bien que P.A.P.A. est bien conscient de ce fait — «C’est une question de manque d’ouverture d’esprit quant à certains types musicaux, ce qui est compréhensible quand on catégorise le hip-hop québécois comme étant ce qui a vendu ces dernières années», tranche-t-il au passage —, celui-ci mentionne toutefois que l’armistice pourrait être plus près qu’on le croit. «Une nouvelle scène est en train de se créer, un nouveau style, une nouvelle saveur, catégorisée d’ailleurs par certains analystes hip-hop comme l’âge d’or du rap au Québec avec Dead Obies, Loud Lary Ajust, Alaclair et moi, en attendant les autres.»
Alors que l’idée de monter sur scène face à un public — voire, un jury — qui n’est pas nécessairement au fait pourrait effaroucher plusieurs artistes (surtout que le battage autour de la présence des Dead Obies parmi les finalistes l’année dernière est toujours frais en mémoire), celle-ci grise littéralement P.A.P.A. «Être sur scène c’est la réelle paie pour un artiste et réussir à faire passer un message et des émotions à ce genre d’auditoire serait un accomplissement en soi», note-t-il, tout en mentionnant que «Les Francouvertes sont aussi un tremplin d’envergure qui nous permettra peut-être d’élargir notre public et de faire passer le message que nous tentons de transmettre à un plus grand nombre de personnes.»
L’effet Jacques Bertrand Jr.
Mouton noir pour certains, énigme sur deux pattes pour d’autres, Jacques Bertrand Jr. est un «secret» bien gardé de la métropole. «Secret-avec-des-guillemets», car l’expérience du bonhomme — son fameux groupe Jérémie Mourand, son nouveau projet Cou coupé, etc. — a fait de lui un artiste fort apprécié de la gent musicienne locale et des mélomanes montréalais. «Tu dois faire de quoi sur lui! Ce gars-là est fascinant!», m’a lancé un collègue lors d’un clavardage sur les Francouvertes. «Oui, oui. J’aime bien ce qu’il fait. Je vais sûrement lui poser quelques questions», lui ai-je répondu. «Pas de “sûrement”! Fais-le!», a-t-il rétorqué avec un aplomb me laissant croire que la requête aurait été accompagnée d’une clé de bras si cette conversation s’était tenue autour d’une pinte.
Jacques, lui, se frotte à cet engouement — et aux Francouvertes — calmement. «Quand j’apprends qu’un artiste établi a interprété une de mes chansons dans son spectacle, ça me fait crissement plaisir; mais quand je contacte un bar à Québec pis que le gars me dit “T’es qui toé? Jamais entendu parler de ton band!”, je me sens vraiment pas “établi”», relativise-t-il. Touché!
Déjà qu’on connaît le bonhomme pour sa plume affûtée, celui-ci s’avère aussi amusant quand on lui demande ce qui l’a mené à se joindre à la présente cohorte des Francouvertes. «Je comptais réserver le Lion d’or pour y organiser un spectacle et une amie m’a demandé pourquoi je (ne) m’inscrirais (tout simplement) pas (aux Francouvertes)», avance-t-il pour expliquer sa participation.» Après réflexion ça m’est apparu comme une loterie où je courais la chance de m’éviter une bonne partie de la logistique et le risque financier qui vient avec la production!»
Bien qu’il se révèle comme un fin stratège (genre!) pour se retrouver sur la scène du Lion d’or à peu de frais, Bertrand Jr. continue d’aborder la chanson comme une activité plutôt ludique. «Jusqu’à présent, c’est plus un passe-temps qu’une carrière, tranche-t-il. Le dossier de presse que je leur ai envoyé était le premier que je faisais. Jamais demandé de bourse ou de subvention, jamais approché de maisons de disques, de booker ou de potentiel agent d’artistes, toujours pas inscrit à la SOCAN — j’espère que c’est rétroactif! —, aucun vidéoclip (etc.).»
Et qu’attend-il de sa participation aux Francouvertes? Des prix? Un buzz? Quelque chose à raconter aux potes? «Qu’on passe une, deux, ou trois belles soirées», muse-t-il.
…
En ce qui me concerne, ce sont sept belles soirées que je passerai en la compagnie de ces artistes alors que je me joindrai aux membres du jury de la première ronde de sélection. Avis aux concurrents des éditions précédentes qui auraient été heurtés par mes propos sur la couleur beige: venez me voir, je vous remettrai mes coupons de bière pour vous consoler.
Sur ce, bonne chance aux artistes et bonnes Francouvertes pour nous tous!
…
Outre les Francouvertes, Maritza demeurera sur scène tout au long de l’année, mais se concentrera surtout sur son nouveau matériel afin de faire paraître un album d’ici la fin de l’année en compagnie de son partenaire JF Lemieux (Cargo Culte, etc.). De plus, la chanteuse participe à Lisbonne Télégramme, une formation à laquelle des membres des Blue Seeds collaborent. Le site web de l’artiste : www.maritzamusique.com
P.A.P.A., de son côté, prévoit lancer un album d’une quinzaine de pièces cet été. Son bandcamp: papaxtremecentre.bandcamp.com
Finalement, Jacques Bertrand Jr. dit être en démarchage pour financer l’enregistrement de nouvelles pièces et pour se glisser dans la programmation de festivals musicaux à venir avec son projet Coup coupé. Pour télécharger ce qu’il a produit à ce jour avec ce groupe : coucoup.bandcamp.com
Puis, finalement, le site des Francouvertes où vous trouverez des détails sur la vitrine — le saviez-vous? on peut maintenant voter en ligne! — et, surtout, la programmation des semaines à venir: francouvertes.com