Sur le fil

L’auteur visité

Mercredi dernier, le Centre national des Arts (CNA) conviait les médias à une conférence de presse pour présenter celui qui allait prendre la barre de la direction artistique du Théâtre français dès septembre 2007, succédant ainsi à Denis Marleau. C'est un Wajdi Mouawad décontracté et bien en contrôle qui a répondu aux questions. Le lendemain matin, l'auteur-metteur en scène de renom m'accordait un entretien en tête à tête. En voici l'essentiel.

Celui qui a été directeur artistique au Théâtre de Quat'sous de Montréal de 2000 à 2004 ne pensait pas reprendre de sitôt ce genre d'emploi. Mais la digue qui le séparait de cette éventualité a vite cédé. "J'aurai toujours un Quat'sous à la place du coeur. C'était très fusionnel, je me disais que je ne voulais pas revivre cette proximité avec un autre théâtre, parce que je voulais rester en mouvement, pouvoir me déplacer, faire des projets à droite et à gauche."

Dès sa première rencontre avec Peter Herrndorf, président et chef de la direction du CNA, Wajdi Mouawad a saisi que le Théâtre français lui offrait l'occasion de création qu'il cherchait. "Il m'a dit qu'il voulait un artiste en plein mouvement, qui est un peu partout. Et qu'il comprenait très bien qu'il ne pouvait pas exiger de lui d'être sur place 24 heures sur 24. Qu'il ne voulait pas que le Théâtre français devienne une entrave, mais bien un outil. Quand j'ai compris, c'est devenu au contraire une espèce de cadeau extraordinaire qu'on me faisait."

Cette entente fut si lumineuse que Wajdi a lié son contrat au président. "Si la personne le remplaçant tenait un discours différent, si elle commençait à me parler d'abonnements, de nombre de spectateurs et de résultats à atteindre par exemple, je peux m'en aller, parce que je ne pourrais pas travailler comme ça."

Lié à cette chaise jusqu'en 2012, le grand créateur à qui l'on doit Littoral, Rêves, Incendies et Forêts, entre autres, ne se sent visiblement pas à l'étroit dans ce mandat de longue haleine. "J'ai depuis très longtemps un rêve que je ne pensais jamais pouvoir réaliser… Et du coup, avec ce mandat de cinq ans, je ne sais pas si je vais avoir assez de temps. Le temps est soudainement devenu étrangement très court plutôt que long", sourit Wajdi Mouawad qui, par délicatesse pour Denis Marleau, se garde de parler de ses projets et de sa vision avant d'entrer en fonction.

Sans entrer dans le jeu des comparaisons, ce qui détonnera certainement avec un directeur comme Wajdi Mouawad est le fait qu'en plus d'être metteur en scène, il est aussi auteur et acteur. Il ne sera donc pas rare de le voir évoluer dans ses propres créations, dont le processus d'écriture est des plus singuliers. "Mon espace de création permet l'ubiquité, c'est-à-dire que je suis à la fois à l'intérieur de l'atome dans l'écriture pure et à l'extérieur de l'atome, dans la matière, dans la mise en scène du spectacle. Ce qui permet cela, c'est mon rapport à l'histoire qui est celui d'une rencontre. Je dois avoir la conviction que l'histoire n'est pas à moi, de moi, mais qu'elle est quelqu'un; au même titre qu'une personne qui entre dans une pièce et s'assoit. Ce n'est pas une image que je donne; au risque de passer pour un cinglé, j'ai une réelle conversation avec quelqu'un, qui est à un autre niveau… Une véritable relation s'établit, elle peut être amoureuse parce que c'est une femme, elle peut être amicale parce que c'est un homme, elle peut être fraternelle parce que c'est un petit frère, une grande soeur, elle peut aussi être détestable."

Ces relations accompagnent longuement le créateur, l'habitant complètement, "comme un coup de foudre". "À un moment donné, je décide d'appeler les acteurs et je ne leur présente pas de texte, je leur dis que j'ai quelqu'un, une histoire, et que je vais leur apprendre à la connaître peu à peu. Après un certain temps, je reviens avec trois, quatre scènes et on les met en place. Je leur ai déjà tellement parlé d'elle qu'ils la connaissent. L'histoire se met à devenir concrète dans ce monde, à travers le corps des acteurs, et le spectacle va témoigner d'elle."

Deux projets sont déjà en branle dans la tête du créateur: d'abord Ciels, sorte d'épilogue à sa trilogie, et puis possiblement un projet solo… "Un jour, j'étais en France dans une chambre d'hôtel et ça a frappé à la porte, j'ai ouvert et j'ai vu un gamin de 11 ans. Il a dit: "Salut, je suis la prochaine histoire." Il a dit: "Je suis un solo, tu vas jouer et mettre en scène. Tu vas écrire." Et ça raconte quoi? "Je ne te dis pas tout, mais c'est lié au Musée de l'Hermitage à Saint-Pétersbourg." J'ai dit: "Attends, faut que je prenne des notes!" (rires) Il est sympa, je l'aime bien. Après Forêts, ça me fait beaucoup de bien."

Et Ciels? "Elle est là, elle attend." Qui sont ces personnes qui le visitent, qui "prennent le thé" avec lui et qui le hantent jusqu'à plus peur? Si l'auteur reconnaît qu'il y a certainement un peu, beaucoup de lui dans chacune d'entre elles, la meilleure façon de les découvrir reste dans ses productions, qui seront aux quatre coins de la région l'année prochaine, comme pour réchauffer son arrivée officielle à ce poste. Il y a d'abord le laboratoire de mise en scène du Théâtre du Trillium qui portera sur le texte pour adolescents de Wajdi Mouawad John, du 18 au 20 janvier; la reprise d'Incendies à la Maison de la culture de Gatineau les 2 et 3 février; Forêts du 27 au 31 mars 2007 au Théâtre du CNA; et Scorched, traduction anglaise d'Incendies au Théâtre anglais du CNA du 4 au 21 avril.

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ANIM-ACTION!

Histoire tragique avec fin heureuse de Regina Pessoa
photo: © ONF

Le Festival international d'animation célèbre son 65e anniversaire cette année, unissant l'industrie et l'art cinématographiques dans un même festival. Plusieurs hommages (Bob Clampett, Konstantin Bronzit) et séries thématiques (dont une pour enfants) sont à l'honneur, en plus de concours et d'une panoplie de courts métrages Aussi à l'affiche: huit films de l'Office national du film, dont Conte de quartier; Invasion des crustacés de l'espace, ainsi que les films primés Jeu et Histoire tragique avec fin heureuse. Jusqu'au 24 septembre. Pour connaître l'horaire et les lieux: www.awn.com/ottawa.