© Colin Anderseon/Brand X/Corbis
Il y a des lustres que je voulais écrire quelques lignes à ce sujet: l'éthique du spectateur. Quossé ça mange en hiver, ça? C'est fort simple. Le spectateur a, et ce depuis toujours, un véritable rôle à jouer lorsqu'il assiste à un spectacle «vivant», c'est-à-dire lorsqu'il y a des êtres de chair et de sang sur scène. Ce rôle – muet, s'entend – qu'il doit remplir commence dès qu'il passe la porte de la salle. Il consiste principalement à respecter les interprètes, ce qui se traduit généralement par le silence (pas de petits bonbons à développer, de gommes à mâcher à extraire d'un paquet, de cellulaire qui sonne ou de machine qui vibre, etc.), mais aussi par une écoute agissante et un certain abandon à de spontanées réactions émotives qui vont du rire aux larmes ou à l'exclamation de surprise… Jusque-là, ça va. Je ne prétends pas que c'est assimilé dans toutes les salles qu'il m'a été donné de visiter – il y a de mauvais écoliers partout -, mais grosso modo, c'est compris par une large majorité d'individus.
Là où ça se corse, c'est à la tombée du rideau (comme dans l'expression; les draps de velours rouge appartenant maintenant au folklore). Les marqueurs d'acclamation qui suivent la finale ont perdu toute leur fonction primaire: celle de signifier physiquement le degré de son appréciation. La réalité dans nos salles est tout autre. Les lumières sont à peine tamisées, la dernière parole soufflée, la note ultime jouée que les spectateurs applaudissent déjà «à mains que veux-tu» et souvent, par effet d'entraînement ou pur réflexe, se lèvent d'un bond, pour ne pas se sentir ingrats devant la horde d'artistes. Les applaudissements et l'ovation debout devraient plutôt agir à titre de baromètre quant à la valeur d'un spectacle. Il n'y a pas que les critiques de la presse qui devraient trancher! Et encore faut-il qu'ils tranchent! L'offre culturelle est si vaste de nos jours que le spectateur doit encore avoir un droit de veto, et ce, au-delà d'un achat de billets! Que fera-t-on devant une performance de génie si on applaudit à tout rompre et si on ovationne la moindre performance scénique? À trop gâter les performances passables, on n'a plus rien à offrir aux triomphantes.
Or, sommes-nous prêts à jouer notre rôle? Sommes-nous prêts à rester les bras croisés devant un spectacle médiocre, à rester assis même si 15 comédiens sont attroupés sur scène pour l'énième salut? J'ai du mal à y croire. Les spectateurs d'ici sont connus pour être des gentils-tout-doux avec leurs artistes, certains tombant même dans la condescendance. Les Français ne sont pas aussi cléments, à ce qu'on dit.
Enfin, le journaliste Stéphane Leclerc a fait un reportage fort intéressant sur le sujet à l'émission Macadam Tribus de la Première Chaîne de Radio-Canada: Les Applaudissements, d'hier à aujourd'hui. Diffusé le 8 février, le reportage – maintenant disponible sur le site Web de l'émission – traite notamment des attentes des artistes eux-mêmes face à leur public, ancrés qu'ils sont dans le pattern du spectateur gâteau… Le reporter propose aussi des hypothèses quant à l'origine de ce geste qui consiste à taper dans les mains.
Juste d'y réfléchir la prochaine fois que vous irez voir un spectacle, et même d'observer le mécanisme dans lequel nous sommes tous enracinés, vous fera voir les choses différemment. Je vous en donne ma parole.