Sur le fil

Musée fantôme

 

Artiste inconnu, Homme inuit non identifié portant des lunettes de neige, 1928. Épreuve à la gélatine argentique, 10,6 x 13,8 cm.

Vous connaissez le Musée du portrait du Canada? Savez-vous où il se trouve, quel est son mandat, ses activités, ses expositions? Aussi bien parler d'un musée fantôme. On traite depuis si longtemps de ce musée qu'on a l'impression qu'il existe véritablement, mais à vrai dire, on n'a jamais vu la couleur de sa porte d'entrée! Il n'existe ni plus ni moins que… virtuellement (http://www.portraits.gc.ca/) et par le biais de quelques conférences et expositions itinérantes orchestrées depuis les locaux de Bibliothèque et Archives Canada.

Pour la petite histoire, le projet du Musée du portrait du Canada avait d'abord été annoncé en janvier 2001 par le gouvernement de Jean Chrétien avec 2004 comme date d'ouverture. Puis, la fusion de la Bibliothèque nationale du Canada et d'Archives nationales du Canada consolidait une collection de portraits amorcée dans les années 1880 et qui réunit aujourd'hui 20 000 peintures, dessins et estampes, 4 millions de photographies, des milliers de caricatures et 10 000 médailles et ouvres philatéliques. En 2003, un investissement de 22 millions $ était annoncé pour l'aménagement du nouveau musée dans l'ancienne ambassade des États-Unis, à un jet de pierre du Parlement. Le gouvernement de Paul Martin tablettait ensuite le projet en décembre 2003, puis en 2005, on réévaluait à 44,6 % le budget total à investir.

Onze millions de dollars de rénovations plus tard, le gouvernement conservateur de Harper remet le projet sur les rails mais émet un doute sur l'emplacement pressenti. Des rumeurs voulant que le Musée déménage à Calgary, au siège social d'EnCana, courent alors. Devant toutes ces tergiversations, on a retiré les affiches géantes sur la devanture du 100, rue Wellington en novembre dernier. Puis – coup de théâtre! -, le gouvernement fédéral annonce finalement qu'il est à la recherche (!!) de la ville de choix – la plus pratique et la plus économique! – pour le musée! Neuf municipalités seraient pressenties: Vancouver, Halifax, Québec, Montréal, Toronto, Winnipeg, Edmonton, Calgary et Ottawa. Les organismes culturels publics et privés peuvent soumettre des propositions officielles pour une décision qui devrait être prise ce printemps. La nouvelle date d'ouverture du Musée du portrait – tenez-vous bien! – est fixée à 2010 ou 2011.

Il n'en fallait pas plus pour qu'une petite guerre de clochers – vieille comme le monde! – se déclenche… Qui héritera du fameux musée emblématique garni de personnages arborant un regard fixé à l'infini? Calgary se montre très agressive en débloquant une enveloppe substantielle pour son dossier de candidature. Vancouver dit aussi «présente» à cet appel d'offres. Ottawa essaie de se réapproprier ce qu'elle tenait pour acquis et Gatineau vient de sortir de sa torpeur. D'autres villes comme Montréal semblent mettre plus d'ardeur pour se retrouver sur le nouveau Monopoly mondial que pour accueillir un nouveau musée national… Le gouvernement a ainsi fait de ce grand projet un objet de cirque, alors que neuf municipalités dépensent temps et argent pour montrer à quel point elles sont les plussse meilleures terres d'accueil pour le Musée. Combien de temps faudra-t-il aux troupes de Harper pour réaliser que, tel que le clament les opposants au déménagement, il faudra un budget annuel de 2,5 millions $ supérieur si le musée sort d'Ottawa ou de Gatineau? Que la décentralisation d'un musée national entraînerait des complications, à savoir le transport et le risque d'endommagement de la collection depuis ses installations d'entreposage? Que l'isolement d'un tel musée pourrait entraîner sa «régionalisation» après quelques années par manque de ressources et de visiteurs?

Tout ce temps et cette énergie encore perdus pour rien. Tout cet argent dépensé inutilement. Et ces portraits qui se morfondent depuis des centenaires dans un atelier poussiéreux… Verra-t-on le Musée du portrait érigé un jour? Pfff, j'y croirai lorsque je le contemplerai de mes yeux… fixes.