Sur le fil

Un homme dans la cité

©Mathieu Girard

Mardi matin. La phrase «Nous sommes en guerre» résonne dans la cité ottavienne telle une onde de choc. Elle est sur les affiches auréolant le Centre national des Arts, dans les journaux, dans les «oisillons» [ndlr: les brochures rebaptisées], sur les autobus… Cet énoncé a été prononcé par Wajdi Mouawad la veille au soir, alors qu'il présentait le fruit de sa première saison théâtrale en tant que directeur artistique du Théâtre français du CNA. Ces quatre mots-chocs, audacieux, donnent le ton: ils ne flattent pas le public dans le sens du poil, mais l'invitent plutôt à s'engager dans cette aventure, dans cette saison à la fois insolite et pertinente.

Pour les expliquer, le maître qui orchestrera le TF pour les quatre prochaines années a tranché: «Je ne chercherai pas à vous rassurer. Je n'essaierai pas de vous dire que vous allez aimer. Je vais plutôt vous dire: c'est possible que ça change vos vies, comme ça a changé la mienne. Ce que j'avais envie de vous dire, c'est: "Essayez d'avoir peur." Parce que l'artiste, quand il a créé, il a eu très peur.»

Wajdi Mouawad nous offre ainsi, dans sa saison 2008-2009, 10 occasions de partir à la guerre, d'être «actif et non pas passif», d'être effrayé, de s'égratigner l'échine et l'âme à la fois. Dix spectacles qu'il a choisis avec minutie, avec conviction, avec effroi aussi, et qui nous donnent l'occasion de suivre ses propres explorations (Seuls et Le Soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face); de suivre le parcours d'artistes déjà chers au TF (Marie Brassard avec L'Invisible, Robert Lepage avec Le Dragon bleu; André Brassard avec Oh les beaux jours de Beckett); de faire l'expérience d'un spectacle en langue étrangère (Krum, présenté en polonais avec surtitres français et anglais); de (re)goûter les prises de parole d'hier et d'aujourd'hui (Manifeste!), les classiques d'une autre époque (Cyrano de Bergerac); de laisser respirer la parole adolescente (Au moment de sa disparition) et celle du désespoir (Je voudrais déposer ma tête).

Mais plus encore que ce collier de spectacles auxquels s'ajoute une programmation Enfance/jeunesse concoctée par Benoît Vermeulen – que je vous invite fortement à aller découvrir au www.nac-cna.ca/tf -, il y a les promesses que nous souffle à l'oreille cette vague de changements… Wajdi souhaite redonner ses lettres de noblesse aux enfants – omniprésents dans cette saison et dans les yeux du directeur lui-même -, il désire (r)établir le dialogue entre les institutions artistiques d'Ottawa et le Théâtre français. Il propose aussi des versions réanimées des Cahiers du TF (rebaptisées L'Oiseau-tigre), des rencontres du midi et des rencontres de premières (devenues «rencontres du jeudi»).

Wajdi a aussi promis une chose: toutes ses créations passeront par Ottawa. Que ce soit ses pièces antérieures qui n'ont jamais pris l'affiche ici ou celles à venir. À ce propos, une rencontre avec l'homme de théâtre m'a permis d'apercevoir à l'horizon un projet ambitieux et tout en relief qu'il est à bâtir… Pendant les quatre prochaines années il revisitera les sept tragédies de Sophocle avec la seule et même équipe! Il les divisera en trilogies: celle de Thèbes (Odipe roi, Odipe à Colone et Antigone), celle de la guerre de Troie (Ajax, Philoctète et Électre) et la «plus belle, l'exceptionnelle» trilogie des femmes (Électre, Les Trachiniennes et Antigone). Après les avoir créées toutes, il préparera un événement qui permettra de voir les sept tragédies de Sophocle d'un seul coup – du «jamais vu dans l'histoire du théâtre». «Je pense que c'est juste de le faire dans la capitale nationale, avec toutes ces questions: comment on dirige une cité, comment elle s'écroule, comment elle se rebâtit? Qu'est-ce que la justice, qu'est-ce que la démocratie, qu'est-ce que la loi, qu'est-ce que le crime?, etc.»

N'ayez crainte (ou plutôt ayez crainte!), Wajdi Mouawad voit grand et son passage dans la cité contribuera certes à brasser un peu les cages dorées d'oiseaux et autres oisillons que nous sommes avec la tenue d'happenings monumentaux, et même historiques.

Et comme il nous encourage à prendre des risques, je me mouille en prédisant ceci: Wajdi Mouawad changera le visage des arts à Ottawa. Déjà, avec son désir d'établir ou de rétablir un dialogue entre les différentes formes d'art et avec les institutions de la capitale, mais aussi sa volonté d'abattre les barrières géographiques et langagières, on sent que le meilleur est à venir… et qu'il nous transformera.

Je vous invite à visiter fréquemment le site du TF (www.nac-cna.ca/tf), où le directeur artistique alimentera un blogue tout au long de son mandat. Un grand voyage s'amorce.

 

Célébridée ou les tulipes fanées

Le Festival canadien des tulipes avait été critiqué l'an dernier en raison de la programmation de Célébridée, une série de conférences se déroulant en anglais, à l'exception d'une seule qui était bilingue. Or, il semblerait que les organisateurs n'ont pas entendu l'appel des festivaliers francophones qui affectionnent cet événement puisque parmi les invités de marque tels les Salman Rushdie, Colin Mochrie et Brad Sherwood, aucun conférencier ne s'exprimera en français. Heureusement, le Festival ne se résume pas à cet événement – dont je m'explique mal le choix du nom et de ses connotions… Aucune barrière de langue ne devrait empêcher quiconque d'admirer les généreuses plates-bandes, de visiter le Pavillon international ou d'apprécier les spectacles musicaux (dont La Bottine souriante) et autres expositions visuelles. «Là où les idées fleurissent», scande le slogan du Festival canadien des tulipes. Dommage qu'elles ne fleurissent pas plus souvent en français. http://www.tulipfestival.ca/