<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_gatineau/POLY_W.jpg"><img src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_gatineau/POLY_W.jpg" border="0" alt="" /></a></p>
<p>Ne jugez pas trop sévèrement ce léger glissement: je traite généralement d'enjeux régionaux dans cet espace, mais voilà, j'ai vu le film dont tout le monde parle… Et il m'habite encore férocement.</p>
<p>Tout comme la productrice associée de <em>Polytechnique</em>, <strong>Karine Vanasse</strong>, qui endosse le rôle de Valérie, j'avais six ans lors des tragiques événements qui marquèrent au fer la date du 6 décembre au calendrier québécois. De voir sur grand écran un échantillon noir et blanc de ce qu'a pu être ce massacre pour toutes les personnes qui y ont été impliquées de près ou de loin a fait surgir en moi une question, posée au hasard des personnes croisant mon sillage: où étiez-vous en cette journée de blizzard hivernal 1989? Un peu comme pour le 11 septembre ou l'assassinat de Kennedy: que faisiez-vous lorsque votre sang s'est figé au contact de cette terrible histoire?</p>
<p>Quémander des réponses parce que moi, je n'en avais aucune. Trop jeune. Or, devant ce troublant et magnifique legs cinématographique – que je juge incontestablement nécessaire -, j'ai ressenti la brûlure comme étant aussi la mienne. </p>
<p>Trop jeune, oui, mais je me souviens sans mal de la voix du directeur d'école de mon village natal de la Rive-Nord montréalaise qui sollicitait à l'interphone une minute de silence chaque 6 décembre, à la mémoire des victimes de la Polytechnique. Dans la tête de la gamine qui prenait ces choses très au sérieux, le mot <em>Polytechnique</em> signifiait «tuerie perpétrée à l'endroit des femmes». En vieillissant, j'ai compris que c'était plutôt le nom d'un lieu: l'école d'ingénierie de Montréal. Puis, morceau par morceau, j'ai pu me faire un portrait approximatif de la douloureuse commotion.</p>
<p>Assise là donc, dans la pénombre, encore tremblante, j'ai pris conscience que la blessure, jusqu'alors insoupçonnée, m'habitait aussi. Parce que… ici, à Montréal; parce que… crime haineux misogyne; parce que… le canon pointant de jeunes adultes… Le drame fait intrinsèquement partie de la psyché collective québécoise, de son empreinte mémorielle, de la génération de femmes dans laquelle j'évolue, de la femme que je suis devenue…</p>
<p>Je savais, ce matin-là de blizzard hivernal, que ce visionnement allait donner un grand coup. Et dès les premières minutes, la détonation s'est fait entendre. Le film est dur, certes, mais sobre. Comme le choix économe du titre. Aucun effet additionnel n'a été nécessaire: tout était déjà là. Restait à choisir l'angle, et celui des étudiants était assurément des plus révélateurs. Pour ne jamais oublier toutes les victimes directes et indirectes, pour se recueillir devant les plans poétiques employés avec parcimonie par <strong>Denis Villeneuve</strong>, pour profiter du noir et blanc afin de créer la distance nécessaire pour ne pas sombrer…</p>
<p>Le film a l'effet d'une cérémonie funèbre, qu'il est préférable de vivre en collectivité, dans une sorte une démarche commune installée dans la pénombre de nos salles de cinéma. Pour exorciser le drame, mais aussi pour éviter la banalisation, ou pire, l'oubli. Parce que le 7 décembre 1989, la vie a continué, parce qu'elle se poursuit et que la femme que je suis n'en est que plus forte.</p>
Poly… j’avais six ans
Mélissa Proulx