Sur le fil

Cartes sur table

Offrir une carte blanche à un artiste, un vrai, c'est ouvrir les vannes vers la création d'un acte scénique sans précédent. Combien de cartes blanches artistiques ont été à l'origine de grands spectacles qui n'auraient pas vu le jour sans le flair de bons gestionnaires de salles? Juste ces dernières semaines, pensons à la pièce Hippocampe, de passage au Théâtre français du CNA – une carte blanche qu'avait offerte Wajdi Mouawad à Éric Jean au tournant de l'an 2000 -,  ou plus près de nous, au spectacle Les Mots de la bouche, une carte blanche de Chantal Lamoureux à Louise Poirier (voir l'article dans la section Arts de la scène). Dans les deux cas, on a droit à un décloisonnement des formes établies, à l'éclosion d'une parole vive et brûlante, à des performances sans détour…

La face cachée de nos artistes

Se voyant confier les clés de l'Espace René-Provost, en plus du Théâtre de l'Île, la directrice artistique Sylvie Dufour a voulu faire du petit théâtre un lieu propre à ce type d'explorations artistiques parallèles… En plus de ramener les Laboratoires de mise en scène – une tradition au Théâtre du Trillium où elle ouvrait précédemment -, elle a voulu dévoiler la face cachée d'artistes professionnels dont elle (re)connaissait le talent. Pour la première série Carte blanche, Sylvie Dufour a donné un budget de 2500 $ à trois artistes qui avaient pour seule commande de préparer une prestation de leur choix qui ne dépasserait pas 30 minutes dans la durée.

La comédienne et metteure en scène Magali Lemèle, grande voyageuse ayant parcouru le globe accompagnée de son appareil photo et de son amour de la mer, de l'architecture et de la nature, dévoile une exposition de ses photos – un autre mode d'expression où elle brille.

L'auteur Luc Moquin a vu tout blanc lorsqu'il a reçu cette invitation et a mis la main à la pâte pour créer des textes autour d'un objet: le pain. Le pain comme aliment de base, mais aussi «comme symbole de subsistance et de vie». Il s'est allié Mathieu Charrette à la mise en scène et Richard J. Léger au jeu. Absent sur la scène (mais non loin tout de même), il fera acte de présence par le biais de la bande son.

Le percussionniste hyperactif Jean-Sébastien Dallaire, qui cumule une dizaine d'années au sein du groupe BAM Percussion, propose un premier solo où il présente ses textes. Sous les conseils de Magali Lemèle à la mise en scène et de Sylvain Deschamps à la musique, il dévoile cette facette de sa personnalité qui ne peut s'empêcher de tapoter sur tout ce qui a une quelconque résonance.

Bien plus que sur la performance, Sylvie Dufour a demandé à ces artistes «pluriels» de miser sur la rencontre, l'échange, dans le but de démystifier l'acte de création. Les performeurs s'adresseront ainsi directement au public; les changements de décor se feront au vu et au su de tous. «Ce n'est pas de l'anti-théâtre, mais presque. On ne veut rien cacher, on veut au contraire tout montrer. C'est comme l'envers et le revers de la création. Tout est ouvert», d'expliquer Sylvie Dufour, qui n'exclut pas, ultérieurement, de se confier à elle-même une carte blanche où elle renouerait avec le jeu.

Pour certains de ces artistes qui se seront mis en situation de vulnérabilité et de vertige, cette aventure pourrait très bien agir tel un tremplin vers un autre projet… À ce propos, la directrice nous confirme que cet engagement a par exemple servi de levier à Jean-Sébastien Dallaire pour l'obtention d'une subvention du CALQ. Et les choses suivent leur cours pour ces artistes pigistes de la région, mais avec un petit coup de pouce supplémentaire… 

La première salve de la série Carte blanche aura lieu du 12 au 21 novembre, à l'Espace René-Provost (39, rue Leduc). Au printemps 2010, nous pourrons voir sur cette même scène, du 25 mars au 3 avril, les univers fertiles de la comédienne Stéphanie Kym Tougas et le formidable slameur Mehdi Hamdad.

© Mathieu Girard