Sur le fil

Croquer son quartier

Prenez un appareil photographique et remettez-le à un résident d'Ottawa en lui confiant la tâche de croquer son quartier, dans ce qu'il a de plus beau et de plus laid; dans ce qui participe à son bien-être et à son mal-être. Confiez ce mandat à des aînés, à des personnes ayant un handicap, à des jeunes et à des enfants accompagnés de parents. Que révéleraient leurs photos? Sans doute qu'elles seraient porteuses de messages que les mots ne suffisent pas à exprimer.

C'est l'objectif du projet photographique Mon quartier, ma voix, qui a pris forme à la suite de la publication, en 2008, du Ottawa Neighbourhood Study de l'Institut de recherche sur la santé des populations qui décrivait 91 quartiers d'Ottawa – leur histoire, leur population et sa santé, leur environnement, leurs attraits et services. Un groupe de chercheurs de l'Université d'Ottawa, en collaboration avec les centres de ressources et de santé communautaires d'Ottawa, a voulu combler les cases vides de l'étude qui ne peuvent être remplies que par les occupants mêmes de ces quartiers. On a donc prêté des appareils photo à 125 résidents, de 3 à 92 ans, répartis dans différents coins et recoins de la ville.

Des milliers de clichés ont été pris dans les voisinages de la capitale… Les photographes en herbe devaient ensuite choisir une photo qui représentait le mieux ce qu'ils cherchaient à exprimer et le résumer en quelques mots. Le matériel recueilli fait l'objet de l'exposition Mon quartier, ma voix, qu'accueille présentement et jusqu'au 4 avril le Musée Bytown. La première partie présente les photographies des aînés et des personnes avec un handicap. Les autres volets (jeunes et enfants-parents) s'ajouteront respectivement les 19 janvier et 23 février.

Sur celle-ci, le contraste. Signée Irène Desjardins, cette photo montre les nids-de-poule sur un passage pour piétons à Hog's Back – véritable terrain miné pour les personnes âgées ou à mobilité réduite – avec, en arrière-plan, de majestueuses chutes relaxantes.

Ici, l'aberration. Ombre «sans nom» de Pierre Desjardins montre un nouveau trottoir où on a omis la pente pour descendre jusqu'à la rue. «Je me suis presque tué», écrit-il.

Ici, la sérénité. Marche en forêt d'Alice Fagan montre des promeneurs dans le sentier paisible du Sportsplex de Nepean.

Ici, la désolation. Le Vide de Gaëtan D. Paquette montre les locaux vacants et le déclin commercial du chemin Montréal.

Ici, la cassure. Finir la réparation présente Marcel Boulet – et son pot de colle – à côté d'une importante fissure dans des murs de pierre, dévoilant les problèmes d'infrastructures de Vanier.

Ici, l'immobilisme. Une boîte aux lettres déborde de papiers et circulaires de toute sorte, témoignant du peu d'intérêt des occupants ou de leur analphabétisme.

Ici, l'entraide. Sur un cliché de Martine Therriault, des aînés profitent des classes de conditionnement gratuites au Centre communautaire Côte-de-Sable.

La voix des jeunes? Des paniers de basket qui nécessitent réparation, un itinérant qui dort sur le froid béton, un tag avec le mot Obama en vert dégoulinant sur fond de passerelle d'autobus…

La voix des parents et des jeunes enfants? Des parcs pauvres, des parcs riches, des décorations de Noël, une arrière-cour, une maison en pain d'épice, des canards sur la rivière, des arbres «parfaits pour grimper», du baseball printanier…

Au-delà du pouvoir d'évocation de ces images si réelles, et des émotions qu'elles peuvent susciter, les participants souhaitent avant tout envoyer des messages éloquents aux politiciens, chefs d'entreprise et groupes communautaires dans l'arène du changement. Ils souhaitent en outre susciter la réflexion chez leurs concitoyens quant aux attraits et aux améliorations à soutenir dans leur quartier.

Rares sont les occasions octroyées au petit voisin sans histoire d'exprimer ce qui l'émeut, le rend fier et l'enrage dans son milieu. Avec Mon quartier, ma voix, des centaines de voisins anonymes s'expriment puissamment. Pour ce faire, le Musée Bytown – qui retrace l'histoire d'Ottawa depuis la construction du canal Rideau jusqu'à aujourd'hui – semble tout indiqué pour porter ces voix résolument concrètes et actuelles (www.bytownmuseum.ca).

Un détour s'impose, sur les berges du canal Rideau, dans la foulée du shopping du temps des Fêtes, dans le féérique centre-ville enneigé…