Sur le fil

Croquer les oeuvres d’art

Permettre aux visiteurs de prendre des photos d'ouvres dans les musées? Voilà une question épineuse à laquelle se frotteront sans doute nos institutions nationales dans les mois à venir. En effet, devant le nombre accru de musées européens et américains qui le permettent désormais, et en réaction aux principes d'accès libre au savoir revendiqués par des plateformes Web telles Wikipédia, Flickr et compagnie, les musées du Canada pourraient être appelés à se positionner.

Selon un article publié dans La Presse [Permettre les photos dans les murs du Musée des beaux-arts?] le 25 février dernier, le Musée des beaux-arts de Montréal étudierait présentement la possibilité d'autoriser les caméras sous son toit. D'autres établissements québécois tels le Musée national des beaux-arts du Québec et le Musée d'art contemporain de Montréal y songeraient également.

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Étrange comme cette règle absolue cerclée de rouge est ici observée religieusement, sans qu'on ne la remette en question. Pourtant, dans quelques grandes villes d'Europe, les visiteurs s'étonnent plutôt du contraire. «Pas de flash? Je veux bien, oui, il peut abîmer les ouvres. Pas de caméra? C'est pas sérieux!…» Il faut dire que les vieux continents sont plus riches que le Canada en matière d'ouvres d'art âgées d'au moins un siècle et dont le copyright est expiré. Et c'est principalement au sujet de ces ouvres millénaires que le débat a lieu – les ouvres contemporaines étant plus efficacement protégées.

Le règlement est à ce point enfoui que le Québécois moyen à qui on autorise de croquer des ouvres d'art dans un musée à Paris, Stockholm ou Bruxelles court le risque de se transformer en Japonais devant le château de Disney… Clic, clic, clic! Croyez-en mon expérience: ma surprise fut si grande lors de voyages en Europe que je n'ai pu résister à poser à côté de ce Monet que ma mère aime tant, ou à essayer de cadrer l'immense tableau de Gustave Courbet que j'avais étudié dans ses moindres détails à l'université… Or, après quelques minutes, mon enthousiasme s'est amenuisé: seuls les touristes semblaient s'activer de la sorte. Bref, voilà l'expression d'un réflexe puéril ayant pour résultat des photos de qualité médiocre – la lumière et la perspective posant souvent problème dans les musées…

Pourquoi autoriser les kodaks, alors? À l'ère où les musées virtuels champignonnent sur le Web et rendent accessible du contenu qui, autrement, s'empoussiérerait dans des archives que plus personne ne consulte, il semble tout indiqué que les musées nationaux montent à bord de ce train déjà en marche. Parce que toute initiative pour rendre l'art encore plus interactif et accessible et pour faire circuler les ouvres ne s'avère jamais vaine. Parce qu'une industrie artistique vivante en est une de partage, d'enrichissement et de mise en valeur du patrimoine.

Aussi, grâce à des organisations sans but lucratif comme Wikipédia, Flickr et Creative Commons, les internautes, amateurs d'art, étudiants en histoire de l'art et artistes peuvent interagir avec les collections muséales comme jamais auparavant. Par exemple, Creative Commons met à la disposition des artistes contemporains des contrats flexibles de droits d'auteur pour la diffusion de leurs créations.

Les musées de la région emboîteraient-ils le pas à leurs institutions cousines si elles en venaient à autoriser les caméras? L'avenir nous le dira. Peu importe la direction que prendront nos musées, je persiste à penser que rien ne vaut l'appréciation d'une ouvre ou d'une expo par les sens et non pas à travers la lentille d'une caméra… Les avis divergent sur la question… Le débat est lancé!