Je rends visite à Papa de bon matin. Je veux apprendre à connaître ce géant qui est récemment apparu dans mon paysage, m'en faire une opinion, le voir au grand jour, alors que le soleil matinal plombe sur lui. Je le scrute donc sous toutes ses coutures de verre et de métal, je contemple ses jaunes, ses verts, ses bleus, ses orangés – tout en me gardant d'entrer dans le point de mire d'un photographe (reporter?) qui croque ce paternel avec la même méticulosité. Je griffonne quelques notes: «Les bras grand ouverts, Papa reçoit. Papa déçoit.» C'est que ce nouveau membre de la famille d'ouvres d'art public ne m'a pas (encore?) tout à fait conquise…
Lorsqu'on avait critiqué l'ouvre Réflexion d'André Fournelle – inaugurée en 2007 sur ce même boulevard des Allumettières -, je m'étais portée à la défense de l'ouvre, et surtout de l'enveloppe accordée à cette «forêt d'arbres en métal». La population avait protesté contre la somme de 300 000 $, avançant qu'elle aurait pu être investie dans des nids-de-poule et autres priorités. Ne pas s'emballer du choix de l'ouvre (sélectionnée par jury à l'issue d'un appel de candidatures) est une chose, mais s'en prendre au 1 % du budget municipal alloué à l'art public en est une autre qui me fait grincer des dents…
Évidemment, je ne remets aucunement en question les 520 000 $ qu'a coûté Papa à la CCN, mais je m'interroge plutôt quant au choix de l'ouvre d'art, tout droit sortie d'un tableau halluciné des années 60. «Est-ce bien le Papa que la région de la capitale nationale attendait, comme pendant à la majestueuse et extraordinaire araignée Maman, dominant le Musée des beaux-arts du Canada?»
Curieux, le photographe matinal me questionne sur les impressions que je couche sur papier… Je lui exprime ma perplexité, voire mon indifférence quant à l'énorme sculpture multicolore que j'aurais préférée plus d'«aujourd'hui»… Connaisseur, le monsieur me fait part des courants et artistes qui ont inspiré l'ouvre – le Light and Space Art des années 60, le peintre Gene Davis, le plasticien Donald Judd, Robert Irwin… Il m'explique de quelle façon le mur vitré symbolise un phare, une porte d'entrée à l'échelle automobile et un point de rencontre à l'échelle humaine. Ensemble, nous commentons de quelle jolie façon l'ombre des panneaux colorés évolue au fil de la journée et des saisons… De quelle manière l'ouvre peut être «habitée» par les passants: en observant le centre-ville à travers des lunettes colorées ou en s'asseyant sur le banc de béton noir qui répond à la forme angulaire de la structure…
J'en viens à dire à mon interlocuteur que, comme la plupart des ouvres d'art public, elle finira sans doute par faire son chemin en moi, en nous. Papa ne peut être appréciée par un simple coup d'oil, elle doit être fréquentée à plus d'une reprise. Et je suis de celles qui veulent donner cette chance à l'art…
L'homme à la caméra me sourit. Au détour d'une question, je découvre finalement son identité: il est le papa de Papa! Le créateur Hal Ingberg, designer et architecte montréalais à qui l'on doit notamment la façade du Palais des congrès de Montréal et l'ouvre Katsu du Théâtre Quat'sous, n'a pourtant pas tenté de se défiler, je n'avais juste pas su lire les indices…
Avec Papa, Ingberg nous invite à ralentir et à contempler… Qu'on aime ou qu'on n'aime pas cet arc-en-ciel haut de 14 mètres qui nous ramène à l'enfance, on ne peut faire autrement que d'obtempérer.
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Je signe ici ma dernière chronique Pop culture. Ces dernières années à la barre de la publication de Voir Gatineau-Ottawa ont été pour moi riches de rencontres et de découvertes. Merci à tous ceux qui, de près ou de loin, ont pris part à cette aventure. Et merci à vous, fidèles lecteurs, pour votre continuel soutien et votre curiosité.
photo: Papa, le nouveau membre de la famille des ouvres d’art public de la région de la capitale, illumine le coin des boulevards Maisonneuve et des Allumettières. © CCN