Sur le fil

Se faire damer le pion

J'adore parler. Étant ex-animateur de radio, j'ai la parole facile. Il y a quelques jours, j'ai pris part à une entrevue on ne peut plus révélatrice à cet égard. Et pour une fois, je campais le rôle de l'interviewé, et non de celui qui tient vaillamment le magnéto, rôle que je connais très bien. La Ville d'Ottawa m'a invité candidement à prendre part à une entrevue-café-croissant dont l'objectif premier était de connaître mes opinions concernant la culture de la capitale nationale et ce, dans le cadre de la mise en branle du plan d'action quinquennal pour la culture de la Ville d'Ottawa (qui s'étendra de 2011 à 2016) en vertu du Plan pour les arts et le patrimoine d'Ottawa 20/20.

On s'en doute, je ne suis pas le seul à avoir été invité à s'exprimer à ce propos. Les résultats de l'enquête auprès d'une cinquantaine d'intervenants seront posés sur papier au fil des prochains mois et le plan définitif sera adopté, si tout va bien, en octobre 2011. Quelques jours se sont écoulés depuis ma rencontre; et je tiens à vous faire part de mes réflexions à propos d'Ottawa, ville culturelle.

En faire plus?

En adoptant la Loi sur la capitale nationale, en 1958, la Chambre des communes créa la Commission de la capitale nationale, dont le mandat se révéla celui «d'édifier la région de la capitale pour qu'elle soit une source de fierté et un facteur d'unité pour la population canadienne». La naissance de l'organisme – qui chapeaute les activités et manifestations d'ordre national -, combinée à l'ouverture du Centre national des Arts en 1969, aurait, semble-t-il, permis aux élus municipaux de l'époque de sabrer volontiers dans le financement de la culture locale. Bah, pourquoi pas? Le fédéral injecte déjà des millions de dollars dans la création d'une culture nationale dans notre ville. Nos citoyens en profitent grassement. Mais Ottawa, la Ville, ne devrait-elle pas aussi se doter d'un programme culturel? Nah, quel est l'intérêt?

La ville qui dort

Depuis, bien des choses ont changé. Il est toutefois clair que cette mentalité de laissons-les-autres-faire-le-travail qui tarde à changer au sein de l'administration municipale ainsi que l'ambigu double statut de la ville (Ottawa – capitale nationale, Ottawa – ville canadienne) font en sorte que nous pataugeons toujours dans un triste marasme culturel. The city that never wakes up, vous connaissez? La sous-utilisation de la rue Sparks et du marché By comme centres culturels ottaviens principaux et la quasi-inexistence d'art public dans nos rues ne font que souligner l'absence de vision de nos dirigeants municipaux. Malgré une poignée d'importantes réussites (le Centre des arts Shenkman, l'agrandissement du Théâtre Centrepointe,  l'inauguration du Centre théâtral Irving Greenberg), Ottawa fait toujours piètre figure comparativement à Toronto et à Montréal.

Encore plus inquiétant, c'est de voir Calgary et même Québec (aïe!) jouer du coude avec la capitale. Qu'on apprécie ou pas son style grandiloquent, le maire Régis Labeaume a eu le front de miser sur la tenue d'événements pour faire de Québec un incontournable touristique, artistique et culturel nord-américain. Autre exemple de l'autre côté de la frontière: c'est par une série de mesures audacieuses et couronnées de succès – festivals estivaux gratuits, création de centres culturels colossaux –  que la dynastie Daley (maires de Chicago de père en fils) a donné à sa ville un statut singulier qui n'a rien à envier à New York.

Est-il utopique de croire que notre nouveau maire (à la lumière des récents sondages, il est juste de penser que nous en aurons un nouveau), qui sera élu dans quelques jours, puisse lui aussi se doter d'une vision similaire à ces deux success-stories? Ottawa est la CAPITALE NATIONALE. Ne trouvez-vous pas qu'il est d'une tristesse abyssale de voir Calgary nous damer le pion?