Sur le fil

Soutenir l’inconnu

Je suis ému. Pas parce que le concert auquel j’assiste est bon – ce qui est pourtant le cas –, je me vois, bien malgré moi, submergé d’un sentiment qui s’apparente à un mélange de fierté et d’euphorie, mais que j’ai toujours de la difficulté à identifier, même quelques jours plus tard.

Je suis au spectacle du rappeur D-Track et de Karim Ouellet présenté au Petit Chicago dans le cadre du quatrième Festival de l’Outaouais émergent (FOÉ). Et je suis ému.

Dans la foule constituée principalement de hipsters à lunettes à monture de plastique noir et d’artistes hullois déjà vendus à la cause, on trouve aussi – à mon grand plaisir – des gens pour qui la question d’une culture propre à la région semblait bel et bien enterrée depuis belle lurette. Parmi ces personnes, je fais la connaissance de Diane, une dame dans la cinquantaine qui, gagnée par l’effervescence qui régnait sur le site principal du FOÉ, a décidé de traîner son mari Michel – qui cogne des clous sur sa chaise – dans l’institution hulloise pour assister à la présentation musicale de fin de soirée. Certainement, elle prend son pied à ne rien comprendre du hip-hop engagé qui se trame devant elle. Bravo Diane!

Ce n’est toutefois pas ce qui compte.

Ce qui compte, c’est cette entreprise mise de l’avant par une poignée de motivés qui vient d’être, pour la première fois depuis la création du festival, entérinée par une dame qui, quelques heures auparavant, ne connaissait le FOÉ ni d’Ève ni d’Adam, pas plus qu’elle n’avait déjà mis les pieds au Petit Chicago. Ce qui compte, c’est le pari des organisateurs de remettre sur pied une soi-disant culture outaouaise, en offrant la seule chose à laquelle ils pouvaient penser: un festival comme vitrine rarissime pour nos artistes et artisans bâillonnés par la non-existence d’une scène culturelle un tant soit peu accueillante, flétris par le manque à gagner qui se fait ressentir lorsqu’on crée l’art pour peu.

Parce que le défi n’était pas de séduire les artistes, ni d’engager le dialogue avec ceux qui habitent déjà le Vieux-Hull, mais plutôt de reconquérir ces hommes et ces femmes qui ont quitté le tumultueux «centre-ville» gatinois il y a 10 ans pour le confort de la culture dite «grand public». Et cette bravade, elle n’est pas gagnée d’avance, mais tout laisse croire que le FOÉ marque, d’année en année, des points sur l’échiquier culturel.

Chapeau.

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Vous avez été plus de 10 000 personnes à prendre part à l’un ou l’autre des événements au programme du FOÉ. En cerclant votre poignet du bracelet bleu royal, ou en portant à vos lèvres le buck aux couleurs des festivités, vous avez signé l’entente tacite qui stipule votre soutien indubitable à la cause culturelle régionale. Cette année, il vous faudra donc vous faire un devoir de faire fi des œillères créées par l’ignorance et de vous présenter au concert (même si vous ne connaissez pas l’artiste), à la pièce de théâtre (même si cette forme d’art vous échappe), à l’exposition d’arts visuels (voir la dernière mention entre parenthèses). Sachez d’ailleurs que je ne suis pas mieux que vous. Mais j’ai la ferme intention de me botter le cul et d’oser soutenir l’inconnu, l’opaque et l’hermétique.

Tel est désormais mon devoir, et le vôtre, en tant qu’acteur au sein du grand village culturel gatinois.