Sur le fil

Les phonèmes des exils

Une Québécoise, à la suite de son exil en terrain inconnu, parmi un peuple étranger, s’accroche de façon disproportionnée au catholicisme, choisissant la Sainte Vierge comme confidente. Un Acadien exilé depuis plusieurs années au Mali, de retour dans la patrie qui l’a vu naître, doit faire la paix avec sa mère mourante, avec qui il s’est battu dans le passé pour contester l’expatriation des villageois de leurs terres ancestrales. Un couple montréalais fraîchement formé, amoureux l’un de l’autre comme on peut s’accrocher à une bouée de sauvetage pour éviter de voguer à la dérive, entreprend un périple initiatique qui le mènera sur les berges de la baie des Chaleurs, tant à la découverte de soi qu’à la croisée des chemins.

C’est autour de ces exils vulnérables, retours contraints et confrontations bariolées qui alimentent un éveil à ses souches, à son berceau originel, que s’articule une grande partie du théâtre présenté lors de la biennale Zones théâtrales. Comme si nous devions systématiquement regarder au loin, nous projeter dans un ailleurs aux panoramas arides, au sein d’une population qui ne revêt pas nos habits ni nos usages, pour être en mesure d’exprimer d’où l’on vient de façon éloquente et fleurie.

Des portraits de populations francophones en milieu minoritaire, il s’en dresse des dizaines, année après année, portés par les nombreux médias artistiques connus. Il m’appert toutefois clair, à la suite de mon aventure à la biennale, qu’au-delà de la recherche esthétique, des enjeux dramatiques et des démarches scéniques instigués par les créateurs, la représentation des réalités propres à la francophonie canadienne, celle qui se bat pour des acquis sociaux ou pour conserver sa culture, a rarement été dépeinte de façon si lumineuse. Comme si on avait demandé à un documentariste de parcourir le Canada afin d’en soutirer les histoires les plus touchantes, celles qui font le plus – le mieux – état de ce que c’est, vivre en milieu minoritaire.

Ernest Hemingway est parti à la découverte de la Ville lumière pour ensuite rédiger son chef-d’œuvre The Sun Also Rises, comme Woody Allen peut tourner dans les plus grandes villes européennes pour illustrer des relations amoureuses on ne peut plus contemporaines et américaines. L’exil artistique révèle le meilleur du créateur.

Vous n’appréciez peut-être pas le bulletin de nouvelles de 18h, pas plus que vous ne pouvez suivre un cours de sociologie universitaire. Mais au cœur des neuf pièces présentées aux Zones théâtrales résidaient plus d’enjeux culturels que ce que peuvent procurer 30 fugaces minutes devant LCN, trois longues heures à écouter un éminent sociologue ou plusieurs voyages aux quatre coins du pays. Il suffit de quelques minutes et, déjà, on vous révélera les multiples secrets d’un pays qu’on ne peut jamais prétendre connaître de fond en comble.