Sur le fil

La cassette

Vous allez vous moquer de moi. Mon sourire se manifeste peu importe mon état: enchanté, nerveux, pensif, surpris, comblé… Quand j’embrasse pour la première fois, il m’est ardu de ne pas sourire de toutes mes dents, à mon grand désarroi. Il m’arrive de passer tout un film à me faire sécher les dents, tant ce qu’on projette devant moi vient me toucher. Ce sourire tout-occasion me vient sans doute de mes parents, qui ont fait de moi «un bon p’tit gars, ben poli», comme le disait Arlène, ma prof de 5e année.

Ce sourire, il se pointe également quand je suis intrigué par des manifestations artistiques, comme ç’a été le cas lors des deux représentations de Chante avec moi, liminaire spectacle de la saison en cours du Théâtre français du CNA. Vous demanderez «Deux?» que je vous répondrai: «Oui, deux. Et ça valait le coup.»

Grosso modo, la pièce, subversive s’il en est, s’attarde au pouvoir de la ritournelle. Celle que l’on finit par fredonner à force de l’entendre à satiété dans des pubs démagos; celle, enrageante, de politiciens à la langue de bois qui, à force de se voir clamée sur toutes les tribunes, fait son chemin dans l’imaginaire collectif; ou celle, entêtante comme une toune de Britney, qu’on finit par se procurer tant on se l’est fait marteler, et que seul le fait de se l’enfoncer en pleine gorge des centaines de fois viendra nous délivrer du supplice.

Par un spectacle des plus énergiques et bourré de surprises, Olivier Choinière, son créateur, s’attaque à ce pouvoir d’assainissement de l’opinion publique, en dénonçant non seulement l’art au ras des pâquerettes enfanté par la culture de masse de conglomérats médiatiques, mais aussi cette facilité déconcertante avec laquelle tout un chacun entre dans le rang, dit comme tout le monde, chante la même chanson.

Chante avec moi s’avère une grande réussite qui m’a tant charmé et surpris qu’il m’a fallu, oui, une reprise pour me le sortir du corps.

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La dénonciation acerbe de Chante avec moi prend tout son sens à quelques pas du parlement canadien, mais surtout à la lumière de la campagne électorale ontarienne qui connaîtra son dénouement final au cours des prochaines heures, si ce n’est déjà fait.

La totale absence de la culture des plateformes électorales des trois (des trois!) partis principaux me choque autant qu’elle m’attriste. C’est que, à force d’omettre d’en parler, d’en faire un sujet tertiaire, de dernier recours, l’art et ses artisans se verront victimes du syndrome du propos mille fois répétés. Un jour, à force de se faire jouer en boucle la cassette du Déni et autres priorités, on finira par dire que, oui, la culture, sa survie, son maintien et sa promotion font effectivement partie de la gravy que nos dirigeants se permettront de verser si, et seulement si, les autres besoins, plus criants, sont comblés.

La cassette est presque terminée.

Stop. Rewind.

Play?