Sur le fil

Souvenirs en flux

Des corps mutilés, entassés dans les caniveaux, exposés au soleil, se pétrifiant à vue d’œil et offrant aux rapaces et à la vermine le soin de détruire les vestiges charnels d’un tel massacre. Seule image que Simon aura gardée de son passage en Afghanistan au sein des Forces armées canadiennes, m’avoue-t-il, parfait étranger, sur la colline Parlementaire, alors que des frères anciens combattants manifestent diligemment devant le parlement canadien. Pendant les quelques minutes que dureront le rassemblement, l’homme dans la fin vingtaine restera stoïque, les mains dans les poches, le cou enfoncé dans son foulard, en retrait de ceux qui portent les pancartes et scandent les slogans. Et pourtant, Simon parle.

Peu, en effet, mais les mots qu’il prononce portent les vestiges de ces mois passés sous un soleil de plomb à exécuter l’indicible, à se commettre dans l’adversité, tout en sachant très bien qu’il laissera dans ce pays de sable aride une partie de lui. Simon et moi n’avons échangé que quelques bribes de conversation et pourtant, je saisissais, à force de lire ses gestes nerveux et son regard fuyant, que la raison pour laquelle il s’était pointé sur la colline n’était pas par révolte contre l’éventuel régime minceur auquel le gouvernement Harper soumettra le ministère des Anciens combattants, mais plus parce que, comme il me l’affirmait, il «n’a rien de mieux à faire».

Et que se souvenir, c’est trop difficile.

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Le Musée canadien de la guerre célébrera le jour du Souvenir comme il le fait si bien depuis son ouverture sur les plaines Le Breton, notamment par la présentation du Herb Miller Peace and Remembrance Project (10 novembre, Théâtre Barney-Danson), qui raconte les histoires derrière les centaines de vies perdues au cours des conflits auxquels les Forces canadiennes ont pris part dans le passé.

Puis, le lendemain, on présentera le documentaire de Claude Guilmain Le 22e régiment en Afghanistan, une production de l’Office national du film. C’est aussi l’occasion toute désignée de visiter l’exposition Chroniques de vies disparues, qui marie des photographies du Britannique Nick Danziger et la prose de l’auteur Rory MacLean. www.museedelaguerre.ca

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Drôle de moment qu’a choisi le gouvernement Harper pour annoncer des coupes dans le soutien que l’État offre aux anciens combattants, vous ne trouvez pas? Alors que le sentiment des Canadiens envers leurs soldats est probablement le plus fort, qu’une grande majorité d’entre eux arborent le coquelicot sur leur veston ou leur redingote. Ne savait-il pas que c’était le jour du Souvenir, quelques jours plus tard? Il aurait fait son annonce en plein mois de juin que ça n’aurait pas fait autant de vagues.

Néanmoins, il reste que Simon, le jeune homme aux 30 mots, est un de ces milliers d’écorchés vifs d’un gagne-pain qui, au-delà des Saving Private Ryan de ce monde, demeure tristement déprécié et marginalisé par l’État et ses dirigeants.