Il vous est arrivé de jumeler invariablement une musique à un lieu géographique ou, dans les cas les plus captivants, qu’une musique vous transporte dans un lieu topographique, socialement défini? Dans mon cas, ces triangulations opèrent souvent: les dithyrambes au piano de When the Pawn… de Fiona Apple me ramènent sur la rue Saint-Jean automnale de ma Québec natale; les poèmes spleenétiques saturés de cordes hitchcockiennes de Benjamin Biolay sur son Rose Kennedy siéent aux rues glauques du quartier ottavien Vanier d’une façon biscornue.
Le projet Polytectures s’inspire de cette géographie de la musique et pousse l’idée plus loin. Le curateur du projet, Antoine Bédard (qui travaille principalement sous le pseudo Montag), l’explique: «Je tenais à demander à certains compositeurs d’enregistrer une pièce qui est destinée à n’être qu’écoutée qu’à un seul endroit, orientée sur un seul bâtiment.»
En théorie: 12 artistes locaux qui se sont attelés à la tâche, sculptant une composition toute spéciale qui servira de trame sonore-guide musical à cette visite d’autant de constructions architecturales de la ville d’Ottawa.
En pratique (et c’est là que ça devient magique): téléchargez les 12 chansons, transférez-les dans votre lecteur mp3 et suivez le guide! Si, à la première écoute, lesdites pièces représentent peu d’intérêt les unes accolées aux autres, elles prennent une nouvelle dimension lorsqu’elles viennent marteler vos tympans alors que vous vous baladez autour des bâtiments en question.
L’électro hachuré et syncopé de Meat Parade confère au récent, contemporain et branché Centre des congrès une aura d’hédonisme de fin du monde, alors que le parlement canadien est divisé en deux pièces aux mouvances bien distinctes: l’une, gracieuseté de J’envoie, hypnotise par sa vision disloquée de l’aile est du bâtiment historique; l’autre, du collectif A Tribe Called Red, attribue au bloc ouest un groove alternatif et sinusoïdal qui, j’aime me l’imaginer, ne manquerait pas de faire bouger le bassin du premier ministre Harper.
Si la ville d’Ottawa, contrairement à plusieurs capitales du monde, fait piètre figure en termes d’art de rue et de culture architecturale, elle acquiert, par cet intrigant Polytectures, une dimension telle que, au cœur de la bulle créée par ces musiques originales, ces édifices mille fois visités et qui font partie de mon quotidien de citadin blasé revêtent désormais la grandeur du Recital Centre de Melbourne ou du Gherkin de Londres.
Assistez au vernissage de Polytectures le 23 novembre au Musée Bytown dès 17h00.