17h, une fine neige tombe sur la place des Civilisations, poussant les derniers badauds sur le boulevard homonyme à presser le pas. On se doute que la plupart d’entre eux sont pressés de rentrer à la maison au terme d’une journée à l’image des minutes qui viennent de s’égrainer: morose et blafarde. Au loin, un cycliste téméraire traverse l’artère principale, manquant de peu quelques cols bleus chargés d’installer ornements, totems et autres parures qui seront illuminées lors des célébrations des fêtes de fin d’année dans quelques jours. Suivons-le, vous voulez?
Il poursuit sa chevauchée le long de la rivière des Outaouais, derrière le Musée des civilisations. L’esplanade entre le musée et le pont du Portage, jadis si majestueuse, a la mine bien triste en ce soir d’automne. Il faut dire que depuis la fête des Morts organisée par la Commission de la capitale nationale et la Ville de Gatineau fin octobre — qui n’a pas connu le succès escompté -, le trajet entre les chutes du Portage et le parc Jacques-Cartier se révèle de plus en plus déserté. Le cycliste le sait bien: il emprunte le trajet plus de quatre fois par semaine, beau temps, mauvais temps.
Pas surprenant: depuis la grande fête de juillet 2017, pense l’homme, le Jardin des civilisations n’a pas su soutenir l’intérêt des citadins, pas même celui de ses promoteurs. Ses idéateurs, ceux-là mêmes qui, sept ans plus tôt, s’enorgueillissaient d’avoir entre les mains un projet qui allait répondre au problème identitaire des Gatinois envers leur ville, ont tour à tour dû réviser leurs priorités – une instance voyant son budget fondre comme neige au soleil à cause de coupes exécutées par un gouvernement droitiste, un autre réalisant qu’il avait plusieurs autres chats à fouetter et que, bien malheureusement, ces matous ne se trouvaient pas seulement sur un trajet de 6 kilomètres le long de la rive nord de la rivière des Outouais. Sur son cheval de métal, l’homme parcourt le trajet rapidement.
Aux chutes Chaudière, l’homme bifurque et emprunte Eddy, nerf sciatique du Vieux-Hull s’il en est. Alors qu’il gravit la petite montée, un constat: la vie semble s’être mise sur pause depuis le début de la décennie. À quelques exceptions près, les commerces vivotent toujours au gré des semaines, bercés par les faméliques rendements que leur clientèle de fonctionnaires emmène, mais qui aussitôt le soir venu reprend tout avec elle de jalouse façon. Au loin, l’homme distingue nettement Gilberte, grande aïeule du quartier, en train de donner des instructions à son Michel, juché au bout d’une échelle en aluminium, occupé à suspendre de petites cannes de Noël de plastique, celles-là mêmes que le duo accroche aux lampadaires de la rue depuis une vingtaine d’années. Oui, ce sont bien eux.
Quelques coups de pédale.
L’homme au vélo, maintenant dans le confort de sa maison, déballe le contenu du sac qu’il avait accroché à sa monture. Tout au frigo: carton de lait, fromage, charcuterie. Ne pas avoir encore de supermarché sur l’île de Hull l’enchante; ça lui permet d’enfiler son Cannondale de façon quasi quotidienne. La rumeur veut qu’une épicerie doublée d’une pharmacie voie bientôt le jour pas loin de chez lui; l’homme se dit que le jour où les promesses faites des années auparavant se verront exaucées n’est pas sur le point d’arriver.