Sur le fil

Le hara-kiri des Juno

Ce jour-là, alors que je zigzaguais dans le trafic dominical du centre-ville ottavien, je me suis fait frapper de plein fouet. Par une chanson, devrais-je spécifier. Un air simple et doux, drapé de slide guitars et d’harmonies féminines, soulignait la fin imminente d’une époque de ma petite vie. Sans crier gare, ses délicats vers, qui évoquent en souriant Johnny et June, Graham et Emmylou, m’ont culbuté à un point tel que ce nœud insoupçonné que j’avais dans le plexus solaire s’est démantelé.

Me ranger sur l’accotement. Quatre flasheurs.

Et brailler un coup.

Ce soir-là, cette musique, si cruciale dans ma vie comme dans la vôtre – j’ose l’espérer -, a creusé un peu plus creux l’abysse dans lequel elle se tient.

Ce soir-là, la musique populaire mourait encore un peu plus, alors que le grand gong de la soirée des Juno était décerné à un album de Noël.

Et les assassins ne sont pas ceux qui se sont procuré l’album en question, mais ceux-là mêmes qui se targuent d’être de fiers porte-étendard, promoteurs et parrains de cette musique dite pancanadienne.

Vu la situation dans laquelle cette industrie se trouve – en pleine permutation et plus volatile que jamais -, son gala se doit non seulement de se faire partisan, mais aussi d’assumer son poids pédagogique envers la société qu’il dessert. Ses célébrations se doivent d’être robustes et d’illustrer l’impact réel de la musique de création, de célébrer les succès commerciaux, oui, mais pas d’exalter le pécune à tout prix.

Aberration s’il en est que de constater que le lauréat 2011 du même prix était Arcade Fire avec The Suburbs, une œuvre pérenne qui aura marqué une génération complète de mélomanes de la même façon qu’un Ok Computer ou un Purple Rain l’auront fait pour des générations précédentes.

Et que dire d’une collection de succès du temps des Fêtes?

Quoi qu’il en soit, baser l’une de ses principales récompenses sur le nombre de ventes laisse la place à ce genre d’absurdité. Ne devrait-on pas récompenser, comme les Génie le font avec leur Bobine d’or, l’album qui a connu les meilleures ventes avec, je sais pas moi, le Top Album of the Year – Sales, plutôt qu’avec le prix ALBUM DE L’ANNÉE, qui vient sceller – et dans le cas en question, discréditer – les 12 derniers mois de ce qui s’est accompli en musique?

C’est en assistant à ce genre de what the fuck de la part de l’industrie que le public se disjoint de sa musique et la considère de plus en plus comme un concept de consommation, comme le Big Mac ou le café cheap qu’on commande le matin, par habitude.

Un jour, nous en aurons tellement soupé du business de la musique que nous deviendrons perméables à ses émerveillements.