La politique sans partis?
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La politique sans partis?

Les partis politiques ne servent-ils pas qu’à véhiculer le mensonge? C’est la question que Simone Weil posait dans sa Note sur la suppression générale des partis politiques, texte posthume publié dans la revue La Table ronde en 1950 et que les Éditions Climats viennent de rééditer, accompagnée de commentaires d’André Breton et d’Alain.

En observatrice particulièrement lucide, mais un brin pessimiste, de la chose publique, la philosophe a décelé, sans surprise, chez les hommes politiques et surtout dans les partis qui les rassemblent, un certain mépris de la vérité. Quand la propagande et la servilité ont la main haute sur la vérité et la conscience dans le monde de la politique partisane, c’est le peuple qui pâtit: "Les partis sont un merveilleux mécanisme, par la vertu duquel, dans toute l’étendue d’un pays, pas un esprit ne donne son attention à l’effort de discerner, dans les affaires publiques, le bien, la justice, la vérité", écrit-elle. Weil n’y va pas de main morte, elle rajoute: "Si l’on confiait au diable l’organisation de la vie publique, il ne pourrait rien imaginer de plus ingénieux."

Car depuis longtemps, les partis politiques ne servent plus la vérité ou le bien public. Ils se servent eux-mêmes. Selon Weil, ce sont des structures aux tendances "totalisatrices" qui abhorrent la liberté de pensée en leur sein. Leur existence force la polarisation des débats. Leur lutte pour le pouvoir ne laisse pas beaucoup de place aux idées complexes et aux arguments réfléchis. Si Weil s’adresse aux Français des années 40, ses observations s’appliquent très bien à la situation politique que nous connaissons ici. "On en est arrivé à ne presque plus penser, dans aucun domaine, qu’en prenant position pour ou contre", se désole-t-elle. Comme Bush disait: "Vous êtes avec nous ou contre nous!" La solution de Simone Weil est pour le moins expéditive: "La suppression des partis serait du bien presque pur."

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Si Simone Weil veut abolir les partis politiques, le sociologue Jean-Claude Michéa s’en prend au bien-fondé du clivage gauche-droite.

Dans l’Impasse Adam Smith, l’auteur nous explique comment la gauche, conçue comme "opposition officielle" au système capitaliste, n’a encore jamais réussi dans la pratique à rompre avec l’idéologie libérale, et à proposer une véritable solution de rechange au statu quo.

En effet, la gauche "s’abreuve exactement à la même source philosophique que le libéralisme moderne". La gauche et la droite sont toutes deux des "religions de remplacement" dont les dogmes sont issus en partie de la pensée d’Adam Smith et des philosophes des Lumières. Si la droite a fait du marché un dieu, la gauche a fait de même avec l’idée du progrès.

Selon Michéa, la gauche a besoin de passer de l’état confortable de contre-pouvoir à celui d’initiateur d’une transformation sociale. En somme, la gauche est réac! Jean-Claude Michéa ne se contente pas de déplorer les prétendus débats sur la question du mode de gestion le plus efficace du système. Il montre que la plupart des échanges sur la nature d’une société juste s’enlisent dans des questions sans issue. En 1936, Orwell écrivait: "De nos jours, l’homme moyen qui pense n’est pas socialiste […] cela signifie que le socialisme dans la version où on nous le présente maintenant a quelque chose d’intrinsèquement déplaisant." Si seulement la gauche pouvait faire preuve d’assez d’imagination pour se donner les moyens d’être convaincante! Mais si Weil a raison, ce n’est pas le climat de partisanerie qui domine depuis 50 ans nos systèmes politiques qui favorisera la naissance d’idées nouvelles.

Note sur la suppression générale des partis politiques
De Simone Weil
Éd. Climats, 96 p.

Impasse Adam Smith (Brèves remarques sur l’impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche)
De Jean-Claude Michéa
Éd. Flammarion, coll. Champs, 190 p.