Sur mesure

Sur la route des chansons

Je ne me suis jamais intéressée aux pourcentages, données et autres statistiques. Je ne serai pas la Paul Houde de la chanson. Bien que j’admire sa capacité à gérer une quantité phénoménale de records olympiques et de noms imprononçables de joueurs de Bo-Taoshi, ce n’est pas mon truc. J’envie certainement ces performances de mémoire, mais je privilégie d’autres informations à stocker sur mon disque dur cérébral.

Je suis donc bien incapable de vous dire combien de spectacles de chansons francophones sont présentés annuellement dans la métropole, mais je peux assurément vous asséner le coup fatal du il y en avait bien plus avant… et je peux aussi vous confirmer qu’il vaut mieux habiter la banlieue ou la province si on veut suivre l’actualité chanson. Pour vous démontrer ce que j’avance, je me dois de sortir la calculette, avec exemples à l’appui.

Catherine Major sera en tournée à compter de septembre. À son agenda, 31 spectacles, un soir en supplémentaire au Gesù en novembre, suite de sa rentrée montréalaise qui se résumait à un soir à l’Outremont en mars dernier. Bernard Adamus: 50 spectacles entre février et novembre. Deux à Montréal, un en mars, un autre en juin. Safia Nolin: une vingtaine de spectacles, un seul à Montréal. Fred Pellerin a entrepris une tournée de 49 spectacles de chansons. Il a fait deux soirs à Montréal autant qu’à Saint-Hyacinthe, Rimouski et Shawinigan. Dans la plupart des cas, la représentation montréalaise figure au programme des FrancoFolies.

Si t’es pas dans le coin ce soir-là ou alors si tu ne trouves pas de stationnement dans le Quartier des spectacles ou que la ligne orange du métro est interrompue ou que ton appli Téo plante (ce qui n’arrive jamais), tu peux crever la bouche ouverte tout en te faisant traiter de bobo du Plateau montréalocentriste qui se prend pour le nombril de l’univers. Il n’en demeure pas moins que tu devras aller à Saint-Eustache, Terrebonne, Saint-Jean-sur-Richelieu, au DIX30 en train de banlieue, bien sûr, parce que tu as vendu ta voiture car tu ne trouves plus de stationnement en bas de chez toi, pour applaudir tes artistes préférés ou ceux que tu souhaites découvrir.

Les artistes iront donc tout près du public dans des lieux aux noms si jolis: Fabrique, Mouton noir, Vieux Treuil, Chasse Galerie, Ange Cornu, Zaricot, P’tite Grenouille, Cabaret de la dernière chance, Aux Pas Perdus…

Parlons donc d’un temps que les moins de 30 ans n’ont pas connu… Michel Rivard a présenté son spectacle 32 fois par mois pendant 14 mois consécutifs en 1983. Ce spectacle, disponible en partie sur le web, me confirme, à moi qui l’ai vu 28 fois en payant chaque fois mon billet, que j’étais fan, que les billets n’étaient pas chers, que le public se déplaçait et que maudit que le Spectrum me manque.

Qui fait aujourd’hui quatre soirs de suite dans la grande ville? Bon, OK, Leloup, d’accord. Il en fait même plus que ça. Mais l’exception ne confirme pas la règle.

Dans les prochains mois, le Québec chantera au Festival de la chanson de Tadoussac, de la musique émergente d’Abitibi-Témiscamingue, de Petite-Vallée, de Granby, d’été de Québec, à Envol et Macadam, MEG, Mutek, Vue sur la relève, aux Francouvertes Pop Montréal, à Coup de cœur francophone, Coup de Grâce musical de Saint-Prime, au festival Accélération de camions de Saint-Joseph-de-Beauce qui doit bien recevoir un groupe rock ou deux, au Festival de la gibelotte, de la gourgane, de la patate, de la poutine, de l’épi, de l’érable, de l’oie blanche, des barres à Jack, des bûcheux de Saint-Pamphile, du cheval de Princeville, de Saint-Cyprien toasté, de Saint-Zénon, de Piopolis-où-c’est-que-c’est-ça?

Aucun des noms cités ci-haut n’a été inventé par l’auteure de ces lignes. Tous ces festivals existent vraiment. Je voudrais m’excuser auprès de ceux qui ne se reconnaîtraient pas, mais Voir m’autorise 1000 mots. N’y voyez pas de malveillance.

Le site des FrancoFolies de Montréal annonce que cette année, un million de spectateurs pourront assister à 250 spectacles, dont 150 présentés par 1000 artistes provenant de 12 pays entre le 9 et le 18 juin. À leur première édition de septembre 1989, les FrancoFolies proposaient une quinzaine de spectacles au Spectrum offerts par 23 artistes. Le spectacle de clôture intitulé Bonjour la visite, et animé par le ci-haut cité Michel Rivard, avait été diffusé dès le lendemain sur les ondes de la télé de Radio-Canada et dans toute la francophonie. Vingt millions de personnes ont pu voir ce spectacle.

Entendons-nous bien. J’adore les Francos, je les fréquente assidûment depuis 1989, j’y présente annuellement mes émissions, j’ai conçu et animé quelques spectacles d’ouverture et de clôture depuis 1992, dont plusieurs ont été diffusés à la télé et à la radio. Je hante le site de jour comme de nuit, je manigance des rencontres entre certains journalistes étrangers et certains artistes de chez nous. Je fais des apéros sur ma terrasse avec des journalistes d’ici et des artistes étrangers. C’est mon Noël en juin.

Quel spectacle des FrancoFolies sera cette année capté pour une diffusion ultérieure, quelle qu’elle soit?

Les télédiffuseurs affirment que les téléphages ne sont plus intéressés par la musique sur écran plat. Alors, quand on invite un chanteur à la télé, c’est pour lui faire boire des shooters en brassant une sauce à spaghetti, danser devant un juré, voyager autrement avec sa famille, remonter son arbre généalogique, se faire encenser par tout un village, chanter les chansons d’un autre, et encore, seulement un extrait en hommage à une autre vedette. Bazzo.tv, considérée par Ottawa comme une émission de variétés, a été retirée de l’antenne il y a quelques mois pour une nébuleuse question de crédits d’impôt. On en perd son latin en plus de tous sens communs.

Détachons nos lacets de bottines, sortons de chez nous, dansons, buvons, aimons-nous quand même et chantons de Montréal à Moisie, en passant par Rapide-Danseur, Chicoutillette, Rivière-aux-Rats, Cap-Chat, Grandes-Piles, Parisville et puis Saint-Louis-du Ha! Ha! Finalement, c’est peut-être ça la bonne idée…

Chanson suggérée: Manche de pelle, de Robert Charlebois