Sur mesure

Pourquoi, tabarnak! Pourquoi?

Suis-je autorisée entre deux séances de bonheur estival à souffler d’exaspération contre la France que j’aime tant? Non pas contre celle qui marche sur le Plateau, guide touristique en main à la recherche des maisons colorées de la rue Laval, encore moins contre celle qui immigre, jamais assez à mon goût. Non, cette France qui me fait lever les yeux au ciel et monter la pression artérielle est composée de journalistes cultivateurs de clichés.

Régulièrement, alors qu’on croit enfin constituer aux yeux du monde une nation moderne, avant-gardiste et culturellement influente, un journaliste bien intentionné s’étant fait offrir un voyage au Nouveau Monde nous inflige un article qui nous fâche.

Le 2 juillet dernier, le site LePoint.fr, sous la plume d’Anne-Sophie Jahn, titrait: «En pleine saison des festivals à Montréal, nous avons voulu rendre hommage aux musiciens québécois. Rap, folk, rock… Tabarnak! Ils sont bons.»

Cette phrase m’exaspère. Lus au premier degré, les mots «rendre hommage» et «ils sont bons» devraient nous réjouir. Mais surgit «Tabarnak! Ils sont bons», comme dans: «On ne l’aurait pas cru, quelle surprise, ça alors.»

Chère Anne-Sophie, titreriez-vous «Putain de bordel de merde de cul de ta mère qu’il est bon le dernier Louise Attaque» sur le site LePoint.fr?

Je vous précise qu’il m’arrive de «tabarnaker» de temps en temps, mais pas à tout va, pas à l’antenne, et surtout pas pour qualifier une œuvre ou un artiste.

Dans son texte, la journaliste cite Antoine Corriveau, Radio Radio, Lise and the Hot Kitchen, Emilie & Ogden, The Barr Brothers et les Hay Babies…

Déjà qu’expliquer à nos amis européens que le Québec n’est pas le Canada, que le Canada n’est pas le Québec et que la distance qui nous sépare de la frontière ouest est la même que celle qui sépare Montréal de Paris est un exercice périlleux, alors, l’hommage aux artistes «québécois»

Extrait du chapitre sur les Hay Babies: «Elles chantent en chiac, un mélange vernaculaire de français et d’anglais, parlé dans leur province de l’est du Canada. Quand la musique francophone se limitait à Garou et à Céline Dion, elles n’écoutaient que de la musique anglophone comme Neil Young ou Bob Dylan.»

Ce tabarnak du Point 2016 me donne envie de reproduire ici, en partie, un échange radiophonique de janvier 2014. André Manoukian, chroniqueur à l’émission matinale de France Inter écoutée par 3 668 000 auditeurs, se fendait d’une critique de l’album Punkt de Pierre Lapointe, un sommet du genre.

Nos cousins du Québec, résistants francophones dans l’océan nord-américain, s’ils parlent un mélange d’archaïsmes fleuris qui nous fait toujours bien marrer, proposent en chanson un mélange d’optimisme naïf du Nouveau Monde teinté de révérences envers un passé mythique qui n’existe plus que dans leur cœur.

Mamannnnnnnnn!!!!!!! Au secours.

Où sont les nouveaux Félix Leclerc, les nouveaux Robert Charlebois? Après s’être enlisée seule sur le sable de la FM des années 1980, la néo-pop québécoise nous livre Pierre Lapointe. Alors, ne boudons pas notre plaisir et installons-nous dans notre cabane à sucre et dégustons ces délicieux beans, ces haricots rouges mijotés dans du sirop d’érable. Vous reprendrez bien un peu de saucisses Dominique (gloussements).

L’histoire ne dit pas qui est Dominique

Je meurrrrrrsssss… encore.

Pierre Lapointe a gardé la naïveté primordiale et on lui pardonne de dire «faites l’amour et pas la guerre». Parce que la naïveté du Nouveau Monde pourrait bien nous sauver, nous les cyniques blasés de la vieille Europe dont le moral fout le camp et qui voit revenir ses vieux démons sous de nouveaux visages. Une petite cure de jouvence à l’air salin des Laurentides (sic) pour nettoyer nos sinus. Eh oui, tu as raison, Pierre Lapointe, il semble que le message ne soit pas passé il y a 40 ans, alors répète-le jusqu’à plus soif.

D’un jet, inspirée par des décennies de débordements de poncifs venus d’outre-mer, j’ai répondu ceci à Manoukian:

Cher André Manoukian, cher collègue,

Parce que le bûcheron de base et sa Maria Chapelaine ont maintenant accès à Internet et aux réseaux sociaux, j’ai eu l’occasion de vous entendre faire l’éloge du disque Punkt de Pierre Lapointe cette semaine. Il est de notoriété publique, et on m’en fait parfois même la remarque, pour ne pas dire le reproche, que j’ai pour la France, sa culture et les Français une affection profonde. Je me sens, de ce fait, non seulement le droit mais le devoir de vous signaler, ainsi qu’à bon nombre de vos concitoyens et à une majorité de vos collègues qui trop souvent cultivent comme vous des raccourcis étroits, que vos cousins québécois en ont ras la tuque de votre insistance bornée à reproduire inlassablement un flot de clichés éculés quand il est question de parler de nous. Vos dires sont fondés sur de bons sentiments, je n’en doute pas. Et c’est bien là le problème, quand les bons sentiments se rapprochent de trop près de la condescendance…

André Manoukian, vous, je ne sais pas, mais nous vivons en 2014, saisissez vous ce que je dis? Ces mots-là sont-ils bien français?

P.-S. Je vous propose une chronique que nous ne ferions pas au sujet d’un disque français. «Mais où sont les nouveaux Maurice Chevalier, les nouveaux Richard Anthony? Ne boudons pas notre plaisir, et tel Louis de Funès dans Le petit baigneur, installons-nous, béret vissé, clope de papier mais collée au coin des lèvres, dans ce mignon troquet aux vespasiennes odoriférantes et délectons-nous de cuisses de grenouilles à l’ail, de cervelles au beurre noir et d’andouillettes AAA que nous dégorgerons au gros rouge qui tache et écoutons cette merveilleuse Émilie Simon qui fleure bon le camembert et nous rappelle les joies de la valse musette de la Renault 5 et des macarons à la pistache de chez Ladurée.»

Précisions, à l’intention d’Anne-Sophie Jahn et des journalistes de l’Hexagone, que JAMAIS la musique francophone ne s’est limitée à Garou et Céline Dion. Cherchez, écoutez quand on vous parle, cessez de nous prendre pour des clowns en flanelette, ouvrez les écoutilles et critiquez l’œuvre plutôt que de parler sempiternellement d’accent, de poutine et autres tipis.

Le journaliste de Libération Patrice Demailly l’a bien fait, lui, dans un papier du 9 juillet dernier: «Et la santé de la chanson au Québec? Foisonnante et éclectique, exigeante et populaire. Excitante lorsqu’elle impose sa singularité.» Il cite Keith Kouna, Patrick Watson, Half Moon Run, Koriass et poursuit: «Voilà des symboles d’un éclatant ressort créatif. Loin des clichés du folk boisé ou des chanteuses s’époumonant hardiment.» Voilà qui est dit.

On ne vit pas dans des tipis. Mais, oui, j’ai écrit ces mots avec mon sang sur de l’écorce de bouleau blanc.