La statuette et le dérouleur de tapis rouge se font aller par les temps qui courent. On ne fournit plus en petites bouchées et en tenues de soirée. On s’étale le catalogue des talentueux designers québécois. À la question qui vous habille, j’ai déjà répondu: «Je vous ferais vendre plus de copies si je vous disais qui me déshabille.» L’année suivante, je faisais le tapis rouge au bras de ma blonde. Bon, là n’est pas le propos, bien que le sujet du tapis rouge mériterait une thèse à lui seul.
Tous les ans, quand arrive septembre, on n’a pas aussitôt fini d’égrainer le chapelet des événements culturels et nouvelles séries télé attendus au cours de la saison qu’on se tartine le gala, qu’on se congratule la production de l’année passée, qu’on rivalise de créativité en forme de numéros d’ouverture et qu’on discourt de remerciements, des sanglots dans la voix. Je suis bon public, espérant toujours passer un pas pire dimanche. Je ne doute pas une seconde de la véritable émotion de Guy A. Lepage alors qu’il dédie son trophée à son père spirituel Jean Bissonnette, qui, dois-je le rappeler, fut l’un des plus grands artisans de notre culture télévisuelle. Je ne doute malheureusement pas non plus de l’insouciance de certains jeunes artistes qui bientôt iront chercher leur Félix et qui peineront à faire un discours cohérent, parce qu’ils auront négligé de se préparer ou que sais-je encore. Louis-José Houde n’a d’ailleurs pas hésité à dire, sur la scène des Gémeaux de cette année et avec l’humour qu’on lui connaît, que les discours y étaient de haut niveau, ce qui n’était pas toujours le cas dans son gala. «On y travaille», a-t-il ajouté.
En effet, quelques très bons mots de remerciements ont été entendus ce soir-là, dont celui de Guy Nadon: «Un acteur, c’est un ancien spectateur qui sort de la salle, monte quelques marches, se revire de bord, fait face à la salle pour raconter des histoires à propos de la salle. C’est ce à quoi on s’évertue depuis des années. Je peux comprendre que Jimmy Fallon ne sache pas qui on est, ça n’a pas d’importance. L’important, c’est que nous on est dans une folle aventure depuis 400 ans en train d’envoyer promener toute l’histoire qui est absolument défavorable à notre persistance. Et nous on fait cette culture-là et on la fait tous les jours. Je suis content de faire partie de vous, je suis content d’être issu de vous, je suis content de faire ce métier-là. Merci beaucoup.» Je l’ai ovationné dans mon salon.
Louis-José Houde avait donc raison. Je me souviens de sa tête quand, en 2014, Klô Pelgag a reçu le Félix Révélation de l’année dans son gala: «Salut, je me sens vraiment drôle, je suis super contente, je fais un sourire pour démontrer mon bonheur, je remercie les gens parce que c’est ça que les gens font, je remercie mes parents d’avoir fait l’amour, j’espère que c’était une bonne fois… je remercie tous les musiciens qui ont travaillé avec moi, merci d’accepter de vous faire pitcher de la sauce St-Hubert sur la tête pendant les spectacles, j’aime la cuisine. Je remercie Messmer de m’inspirer dans tout… Je vous souhaite le bonheur.»
Tous les lauréats, et peu importe le gala, ne doivent pas dans leurs remerciements revendiquer, lever le poing, appeler à la révolution, mais tous, sachant depuis déjà plusieurs semaines qu’ils sont nommés, qu’ils ont une chance sur quatre ou cinq de remporter un trophée, devraient consacrer au moins autant de temps à articuler deux phrases qu’à choisir la couleur de leur vernis à ongles ou leur cravate. Et puis notez que défiler une liste de noms jusqu’à ce que la musique vous pousse hors de scène, ça ne fait pas de la bonne télé. Tous les emportements ne sont pas non plus à encourager. Souvenez-vous du lancer du Félix. Guy A. Lepage, alors animateur, mécontent de l’absence de Richard Desjardins qui était un des grands honorés de la soirée, avait lancé le Félix non réclamé en coulisses. Scandale.
Celui à qui l’on doit le discours le plus percutant de l’histoire de l’ADISQ, le plus efficace et donc le plus mémorable aussi, c’est Plamondon. 1983, Luc et Robert Charlebois reçoivent le Félix Chanson de l’année pour J’t’aime comme un fou.
Plamondon sort de ses gonds: «Les trophées, ça fait plaisir, mais ce qui nous ferait encore plus plaisir, ce serait de gagner des droits d’auteur. Je voudrais profiter de l’occasion, au nom des auteurs-compositeurs du Québec, pour dire à tous les producteurs de spectacles qui sont réunis ce soir ici qu’on a trouvé votre attitude absolument révoltante lors des audiences devant le tribunal d’appel du droit d’auteur en février dernier. Quand le président de l’ADISQ qui est assis ici à côté du ministre des Affaires culturelles ose écrire une lettre contre les créateurs disant qu’on va jeter l’industrie du spectacle par terre si on demande des droits d’auteur, je trouve ça scandaleux, scandaleux. On va le gagner notre combat, on va mettre cinq ans, on va mettre dix ans, mais on va le gagner. On est la matière première de votre industrie, votre industrie n’existerait pas s’il n’y avait pas des chansons, s’il n’y avait pas des auteurs-compositeurs derrière.» Imbattable discours.
En 1980, Diane Juster remportait le Félix Chanson de l’année pour Je ne suis qu’une chanson, dont le disque s’est vendu à 400 000 exemplaires. Un succès énorme qui rapportait un gros deux sous par disque à son auteure-compositrice. Avec Luc Plamondon, elle a fondé la SPACQ – Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec. Tous les créateurs de chansons les ont rejoints et ont mené le combat.
Le 19 septembre dernier avait lieu la 11e remise des prix de la Fondation SPACQ. À l’abri des caméras et loin des tapis rouges, une centaine de personnes – auteurs, compositeurs, créateurs de chansons toutes générations confondues, artisans du métier et représentants des entreprises commanditaires – allaient se faire le plus beau de tous les galas. On allait remettre 11 prix assortis d’un chèque et d’une œuvre du peintre Marc Séguin. Les prix portent le nom d’artistes phares. La fête est chaleureuse, amicale et plus sincère que jamais. Angèle Dubeau, René Dupéré, Richard Grégoire, Guy Bélanger, Bori, Marie-Denise Pelletier, Gilles Valiquette, Marc Drouin, Mara Tremblay, Roch Voisine, Edith Butler. Louise Forestier, animatrice de la soirée, a dit en présentation de Diane Dufresne: «Elle a mangé, digéré, craché les chansons, elle les a chantées, mais elle les a surtout partagées.» Diane Dufresne salue Lucille Dumont récemment décédée à l’âge de 97 ans, sans que jamais l’ADISQ lui ait rendu hommage: «Lucille Dumont, pour ma mère, c’était la classe, je ne savais pas ce que ça voulait dire, mais je voulais être comme elle. À 14 ans, j’ai gagné un concours de chant. Le prix, c’était un duo avec Lucille Dumont. Ce soir, je remporte un prix qui porte son nom. Merci pour tout, Madame.»
Pagliaro: «Les concours, c’est la loterie, tu prends un ticket, tu gagnes, tu fais un cover, pis tu pars en tournée. Les concours, c’est bien, y en a toujours eu, y en aura toujours, mais les concours, c’est pas la culture. Laissez les artistes travailler.»
Charlebois: «J’ai rencontré Claude Robinson. Il s’est battu pendant 10 ans sans pouvoir dessiner un trait. Je ne veux pas me battre pendant 10 ans pour exister et ne pas pouvoir composer une note ou une ligne de chanson. Victor Hugo disait: “Une bonne idée sans appui financier ne fait qu’élargir les tablettes des œuvres inutiles.”»
Claude Dubois: «Merci à chacun de vous qui encouragez la chanson, elle est l’âme d’une nation.»
En rentrant chez moi, encore émue de ce que nous avions vécu, vu et entendu, je me suis demandé ce qui pouvait bien planer ce soir-là, à ce gala-là, et je me suis dit contre mon gré que c’était peut-être le parfum de la fin d’un monde.
Si vous voulez, jeunes artistes qui allez monter sur scène chercher votre Félix cette année, ne pas faire œuvre inutile et participer à enrichir l’âme d’une nation, travailler à sa culture, partager vos chansons, faire tout ça avec classe et qu’un jour peut-être un prix porte votre nom, levez-vous tôt demain matin et attelez-vous à la tâche en pensant avec respect à ceux qui ont battu la terre pour en faire des chemins.
Chansons à écouter
Miss Pepsi, Robert Charlebois et Mouffe
Merci Lucille, Louise Forestier, extrait de Demain matin, Montréal m’attend
Vous avez mal compris Mme Giroux.
Belle réplique de Klo Pelgag qui, à défaut d’avoir eu un discours aussi engagé et songé que vous ne l’espérez, apporte un vent de fraicheur et d’originalité à une industrie qui en a bien besoin!
https://www.facebook.com/klopelgag/posts/1304020226297793
Commentaire très pertinent que j’endosse entièrement sur le fond. Cependant, prendre un seul commentaire provenant d’une jeune artiste, puis l’accoler dans un montage à ceux émanant de plusieurs de nos géants culturels, représente pour moi une injustice inommable envers cette jeune artiste et une fraude intellectuelle qui vous déshonore. Vous auriez pu en sortir des centaines de discours insipides provenant d’artistes de toutes les générations, pas seulement de celle qui émerge pour la faire mal paraître. Pourquoi alors cet exercice démagogue sinon que de trahir votre plus profond mépris de ce qui est jeune et différent de vous. Comment pouvez-vous prétendre désormais promouvoir honnêtement les talents émergents comme vous le faites à la radio? Honte à vous. Il ne vous reste qu’à démissionner si vous êtes encore cohérente avec vous-même.
En parlant de classe, à démonter Klô comme ça vous pensez en avoir, madame Giroux?
N’importe quoi M. Moses…
Si quelqu’un a bien fait quelquechose de significatif pour la relève et la promotion de la Culture musicale des jeunes artistes d’ici ET pour le développement des consommateurs culturels francophones, c’est bien Monique Giroux !
100% derrière vous madame Giroux. Et je sais très pertinemment que vous savez reconnaître le talent de Klô Pelgag, peu importe le niveau d’engagement dans ses discours.
Or, si on doit retenir qqchose du message de Mme Giroux, c’est que l’artiste engagé est agonisant et qu’on fait face à une talentueuse cohorte d’artistes «désengagés» et endormis, dans un système dont ils sont la genèse et l’essence même…
Art : 1
Culture : 0
Qui nous mènera en série éliminatoire lors du Gala de L’ADISQ dans quelques jours? Il le faudra bien, parce que, si la tendance se maintient, certains se reveilleront de leur somnolence à 360° avec plus rien dans les mains, que de la musique dans la tête… Repolitiser les artistes est un mal nécessaire à leur survie.
Quitte à leur brasser la cage, comme vient de le faire brillamment Mme Giroux.
Klo Pelgag est engagée dans la créativité, dans le farfelu, dans la deconstruction triste joyeuse et enchantée, dans une forme de surréalisme hanté. Mais qu’est-ce qui vous prend Monique Giroux d’être tant à côté de la plaque, de manquer le bateau de la liberté de la langue, de l’invention, de l’errance erratique imprévisible de l’esprit de Klo Pelgag. Ne connaissez vous qu’un seul chemin, qu’une seule façon, la régulière, l’académique, la consacrée, la celle qui vous appartient, la celle de votre génération, ou la celle que vous subordonnez? Un mot. Pauvre. Deux mots. Pauvre plate. Trois mots. Pauvre plate condescendant. J’écris cela et je suis plus prêt de votre âge que de celui de Klo. Votre référence à Klo est médiocre.