Sur mesure

J’en perds mon latin

C’est à en perdre son latin. La maire de Paris, Anne Hidalgo, reçoit la mairesse de Montréal, qui n’est pas la femme du maire, mais bien celle qui a remporté la majorité des suffrages aux dernières élections et dont la cote d’amour a chuté plus vite que ne fond la neige.

Amour n’est-il pas masculin au singulier et féminin au pluriel? On passe pour qui?

OK. Si ce n’était que ça. Je suis chroniqueuse, animatrice et non pas chroniqueure, animateure, je suis conceptrice et pas concepteure ou encore moins concepteuse, auteure et peut-être autrice, pas auteuse. Pour des raisons de talent, je ne suis pas actrice, pourquoi pas acteure. Je suis propriétaire, journaliste, j’ai été recherchiste, documentariste, ce qui, ma foi, est beaucoup plus simple.

J’ai été camelot de La Presse. UNE camelot. Non seulement ce petit métier s’est perdu, mais le journal n’existe plus. M’aurait-on traitée de camelote? J’ai été emballeuse. Je m’emballais déjà à l’époque pour la musique, les voyages et la langue, mais j’emballais surtout du fromage Oka sur une chaîne dans l’usine d’Agropur. Cent meules à l’heure.

Je suis fille unique, orpheline de père. Je suis radio-canadienne, je regarde TVA, HGTV, TV5, Planète, Télé-Québec, mais jamais V, c’est trop pour moi.

Rien de tout ça n’est bien grave.

J’utilise parfois les toilettes des hommes quand la file est trop longue chez les dames et qu’on sonne la fin de l’entracte. Et non, ça n’a rien à voir avec mon genre, mon absence de genre ou mon orientation sexuelle. C’est juste que j’ai envie. Souvent, je lance le bal. «Si elle y va, on y va aussi.» Vous devriez voir la complicité féminine en pareille circonstance. D’ailleurs, quelle idée, ces urinoirs à tout va… Ça ne vous gêne pas de vous la sortir au grand vent debout face au mur à côté d’inconnus qui font de même? C’est d’un moyenâgeux terrible, franchement. Et puis, les boules à mites… Pendant qu’on y est, je m’éloigne du sujet, mais pouvez-vous ben me dire pourquoi les cloisons des toilettes publiques ne vont pas du plafond au plancher pour un peu plus d’intimité? Par souci d’économie de matériaux? Si on parvenait à résoudre cette anomalie architecturale, on aurait plus de facilité à atteindre l’équité, du moins en matière de cabinet d’aisance. Plus de file inutile, plus d’entracte interminable, de madame qui se tortille tout au long de la deuxième partie parce que son tour n’est jamais venu. Ah oui, j’ai oublié de vous dire, je suis pudique, du latin pudicus.

Vous vous souvenez de l’énumération des pronoms personnels?

On les répétait par cœur comme une prière. Ou comme ces conjonctions en forme de question, «mais, ou, et, donc, or, ni, car»?

Je, tu, il, nous, vous, ils. Je, tu, il, nous, vous, ils. Je, tu, il, nous, vous, ils. Point d’elle ni d’elles, que des il et des ils. Le masculin l’emportait sur le féminin. On nous martelait que la mère de Jésus était une pauvre vierge sans défense, et sa maîtresse Marie-Madeleine, une pute qui, on l’a découvert beaucoup plus tard, et les historiens ne s’entendent toujours pas là-dessus, s’est fait passer pour un gars pour assister au dernier repas.

La vierge Marie n’était pas forcément vierge. Une ingénieuse n’est pas forcément une femme ingénieur. Ce n’est pas incompatible, cela dit. On peut à la foi être une ingénue ingénieure ingénieuse et vierge. Une entrepreneuse est-elle une entrepreneure entreprenante ou pas?

Pourquoi dit-on une auteure-compositrice-interprète? Parce que c’est plus joli à l’oreille qu’autrice-compositrice? Mais ne l’est-ce pas moins qu’auteuse-compositeuse? Oh là là… je cherche une explication.

La Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française (OQLF) propose cette solution à la question de comment savoir ce qui se trice et ce qui se teure:

«Les noms passent de -teur à -trice lorsqu’ils viennent de noms latins se terminant par ‑tor et -trix. […] Ces noms s’inscrivent souvent dans une famille qui comporte un nom se terminant par -tion, -ture ou -torat.» Comme dans administration, administrateur, administratrice, acupuncture, acupuncteur, acupunctrice, rectorat, recteur, rectrice.

OK. Mais encore…

Toujours extrait de la Banque de dépannage de l’OQLF:

«On constate que les noms qui passent de -eur à -euse remontent, dans la grande majorité des cas, à un verbe. On peut former ces noms à partir du participe présent du verbe auquel on soustrait la terminaison -ant pour la remplacer par le suffixe -eur ou -euse.» Comme dans le verbe chauffer qui a pour participe présent chauffant, donc chauffeur devient chauffeuse.

Je continue de chercher:

«Comme les noms en -eur qui forment leur féminin en -euse, les noms en -teur ont un féminin en -teuse, car le verbe dont ils dérivent a un t à sa finale. Ces noms n’ont pas dans leur famille de nom en -tion, -ture ou -torat.» Comme chanter, chanteur, chanteuse.

Voulez-vous que je répète? J’ai relu 20 fois avant de le copier-coller, exaspérée. Y a pas de chantion, de chanture ou de chantorat, OK là? Ça n’existe pas.

Mais ça ne règle pas la question de l’auteur-autrice.

Quelle heure est-elle? Ouiiiiiii, une heure plus tard, ça y est, je l’ai, tout s’explique!!!

«Certains féminins en -trice sont en concurrence avec de nouvelles formations en -teure. La forme autrice, tout à fait régulière, car on avait en latin auctrix, ne s’est pas imposée dans l’usage au Québec, où auteure est maintenant plus fréquent. À côté de sculptrice, forme régulière, on emploie également sculpteure.»

C’est bien ce que je disais. Que faire quand on a perdu son latin?