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Raccourcis (Cynique chronique)

– "Dans ma discothèque, j’ai des musiques de toute sorte; beaucoup d’horizons différents m’inspirent."

– "J’ai redécouvert récemment les rythmes africains, j’y puise beaucoup de nouvelles sonorités, de nouvelles couleurs." (dans cette dernière phrase, vous pouvez remplacer "les rythmes africains" par, au choix: "la musique des années 1970", "la musique classique", "le blues de Chicago", "les premiers jazzmen", les symphonies de Mozart", "les pionniers de la musique électronique"…)

– "Cet album-là, il est comme la vie: il y a d’heureux moments, d’autres plus tristes."

– "Cet album-là, il est comme l’amour."

– "Cet album-là, il est comme un nouveau bébé, je l’ai porté longtemps et voilà!"

– "Cet album-là, il est comme le voyage."

– "L’inspiration, ça ne se commande pas, ce n’est ni une question d’endroit, ni une question d’heure. Quand elle passe, il faut être attentif. C’est un moment de grâce qu’il faut saisir."

– "Ce n’est pas vraiment un virage musical, mais une évolution. J’ai changé, il est normal que ma musique change aussi."

D’accord, avec la rentrée culturelle, ce n’est peut-être pas le moment de manier le sarcasme, qui ne sied sans doute pas à la solennité du moment… mais je suis toujours renversé de l’insipidité des propos que tiennent plusieurs artistes présentant leur nouveauté annuelle. Les citations que vous avez plus haut sont appropriées, par exemple, à un lancement de disque. Vous pouvez les accoler à de (trop) nombreux artistes…

Avant d’être rédacteur en chef de Voir, à Gatineau et Ottawa, je l’avais été du mensuel Zone et de l’hebdomadaire La Rotonde. À cette dernière époque – et à la blague – j’avais conçu à l’usage de mes journalistes une série de raccourcis à programmer sur les claviers des ordinateurs MacIntosh et PC que nous utilisions à la Rédaction. Il s’agissait de l’ensemble des réponses "correctes politiquement" que l’on pourrait leur servir au cours de leur pratique. Ainsi, si vous pressiez les touches "ctrl" + "alt" tout en tapant "dossier", vous obteniez à l’écran une belle citation toute faite et bien foutue, du genre: "Nous travaillons activement sur le dossier, un comité a été mis en place et nous devrions présenter des avenues de solution sous peu"; en pressant "shift" et en tapant "vacances", vous lisiez: "Ces jours de vacances m’ont permis de me ressourcer avant d’entamer le travail qui reste à accomplir. Vous savez, se retrouver dans la nature, loin de tout, ça permet d’y vois plus clair."

Enfin, vous voyez le genre. Quelle économie de temps! Bien évidemment, je le répète, ce système n’a jamais été sérieusement instauré; c’était une façon de faire sourire, c’est tout. Maintenant, je me poserais sérieusement la question…

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Actuellement, en musique, l’on en est à la mode électro, comme nous en étions aux claviers il y a vingt ans, à l’acid-house il y a une quinzaine d’années, au grunge il y a douze ans, à la techno il y a dix ans, au retour aux instruments traditionnels et à l’enregistrement "live en studio" il y a huit ans… À l’électro, donc aujourd’hui, et aux DJs. Parsemez une merde musicale d’un peu de musique électro, et vous obtenez, sinon un "véritable bijou" du moins un certains succès d’estime.

Ça fait savant, avant-garde, déstructuration intello, ça emprunte aux genres musicaux "nobles", comme le jazz… c’est, en fait, faussement savant; c’est trop souvent comme le menu allégé de McDo: ça veut faire croire à plus de subtilité… pourtant, ça reste du McDo.