Tangentes

L’étranger « Welcome to the jungle, baby »

W resserre l’étau autour des prisonniers de Guantánamo ces jours-ci. La mauvaise foi de l’argumentation présentée par la Maison Blanche à l’encontre des avocats tentant de faire déclarer "illégales" ces détentions – et lui permettant par là de se soustraire une fois de plus au droit international – commence à sentir mauvais… laissez-moi vous conter…

Paris sera-t-elle vraiment toujours Paris? Sa banlieue a beaucoup changé au cours de la dernière décennie. Visage balafré, la ville lumière risque, au cours des prochaines années, de ne présenter qu’une façade, qu’elle tentera de ravaler du mieux que ses urbanistes le pourront. C’est que la problématique de ses banlieues finira bien par rattraper son centre, toucher son coeur, tôt ou tard.

L’échec des politiques "d’intégration" du gouvernement français prend là toute son ampleur, tel que le révélait il y a quelque temps une série d’articles troublante sur la question, du journaliste Gilles Toupin de La Presse: immeubles "cages-à-poules", HLM à perte de vue, zones interdites où même les forces de l’ordre ont renoncé à travailler ("on va casser du flic", dira un jeune), désagrégation des familles, trafics et harcèlements en tout genre, quartiers régulièrement mis à feu et à sang… les pompiers ne répondent plus aux alarmes, souvent fausses, qui les font tomber dans des guet-apens incendiaires, les médecins n’acceptent de s’y déplacer que sous escorte policière… bref: le retour de la loi de la jungle et de la barbarie.

Échec du droit? Abdication facile des pouvoirs policier et juridique? Non, j’y reviens: échec des politiques "d’intégration". Oui, ce problème des banlieues parisiennes est un problème de "peuples". Oui, dans ces banlieues, l’occidental blanc est en infime minorité. Afrique, Maghreb, Algérie: la France était fort empressée d’accueillir la main d’oeuvre de ces pays, ces "étrangers" qui l’ont rebâtie après la guerre; mais elle n’était guère empressée de favoriser leur intégration par la suite. D’où la stigmatisation et la dégringolade. Dans l’ordre. La première précédant toujours la seconde. Et l’ordre et le droit mal appliqués entraînant le désordre. Démonstration.

J’étais en France en 1995 et j’arrivais à Paris le lendemain même de l’explosion-attentat du métro de la station Saint-Michel, premier épisode d’une série révoltante. Et durant une semaine, changeant quelquefois de métro à la station voisine de Saint-Michel, Denfert-Rochereau, je vis le wagon-tombeau éventré, stationné sur une voie parallèle, et gardé jour et nuit par des factions. L’effervescence policière, qui commençait alors lors de mon arrivée, donnait vraiment une sale impression d’état de guerre. Le spectre de 1986 se dessinant (vague parisienne d’attentats), l’on a voulu, dès le début, enrayer tout état de psychose ou d’hystérie dans la population citoyenne et touristique. Et tout ce déploiement, à la fois spectaculaire, rassurant et inquiétant, avait le poids qui convient à la situation: trois regroupements de nature policière se croisaient dans les couloirs et aux abords des métros: les gendarmes, la police au sens commun; puis les membres de la brigade du GPSR (Groupe de protection et de sécurisation des réseaux) – véritables vigiles de la RATP (organisation du transport en commun) dont la présence est parfois contestée; et enfin les célèbres CRS, dont la réputation (fausse? – tout au moins gonflée) d’une certaine brutalité sadique s’est déjà exprimée à travers des slogans- graffitis tels "CRS = SS" (!)… Et tout ce monde de l’ordre public, de faire sentir sa présence plus que jamais, en vue, bien évidemment, d’intimider, de dissuader d’éventuels terroristes et de rassurer la population. Les ouvertures des poubelles des stations de métro sont scellées, certains gendarmes patrouillent avec une caméra et filment les usagers, les contrôles d’identité se multiplient…

Voilà un dérapage important dans l’histoire (l’Histoire?), que ces contrôles d’identité.

La critique de ce système d’interpellation et de contrôle est venue le plus fortement d’organisations anti-racistes (SOS-Racisme se faisant l’un des principaux porte-parole de ces dénonciations) reprochant à ces contrôles d’identité d’être le plus souvent effectués "au faciès" et de façon nettement discriminatoire envers les minorités visibles. Bien évidemment, la piste islamique semblait privilégiée dans la recherche d’une résolution de l’attentat et, de ce fait, les contrôles exercés alors n’étaient peut-être pas aussi arbitrairement racistes qu’ils ne le semblent. Bien évidemment, l’on objectera aussi que le citoyen est révolté (à juste titre) par l’horreur du geste terroriste osé et que pour lui, ces contrôles "particuliers" sont adaptés à la situation. Il se sent rassuré par ces contrôles, qui à la fois contribuent à le sécuriser et à le conforter dans son idée que "l’ennemi" est identifiable, visible, reconnaissable… Mais quel enfant fait-il! Nulle part n’ai-je lu ou entendu que ces méthodes, dans leur application actuelle et raciste, devraient, au contraire, plutôt que de rassurer ce citoyen français, l’inquiéter au plus haut point… En effet, combien de fois ai-je voulu demander aux CRS contrôleurs en train de procéder à l’identification d’un jeune Maghrébin: "Et moi? Mes papiers, demandez-les moi aussi!…" J’étais, de cette démonstration à caractère visiblement raciste des forces de l’ordre (raciste de par les répétitions des demandes), j’étais sans doute des deux – l’étranger contrôlé et moi-même – le plus mal-à-l’aise… Car c’est là qu’il y a "confusion": comment persister à penser, au-delà de la première réaction (justifiée) d’emportement, que la population sera rassurée par ces interventions visibles, "frappantes" (sans jeu de mots)? Comment ne pas percevoir le risque qu’il y a à de telles interventions, à la façon dont elles sont menées? Car au fond, ce faisant, n’exacerbe-t-on pas les tensions qui existent déjà?; n’allume-t-on pas l’une des mèches que l’on tente d’éteindre par ce même moyen? Je le dis: à Paris, un Paris auquel le multiculturalisme si présent donne indiscutablement une saveur (amère? relevée? Cela dépend sans doute de tant de choses…), une saveur quoi qu’il en soit qui ne m’avait jamais paru inquiétante, à Paris, cet été 1995, sortant tous les jours de stations de métros où des contrôles venaient d’être effectués, j’étais inquiet, un peu; cet été, je n’aurais pas aimé croiser le jeune Algérien que l’on venait de soumettre à un interrogatoire sommaire au sortir du wagon, tandis que ces mêmes agents inquisiteurs me saluaient poliment… Ce sont ces agents, ceux-là même chargés de ma "protection" – comme de celle de tous-, qui me le rendaient, le jeune Algérien contrôlé, inquiétant. Quel paradoxe! Combien il eut été facile de faire différemment! Mais enfin…

La loi anti-terroriste canadienne, votée dans l’urgence l’an dernier, peut devenir dangereuse. Méfions-nous des applications que l’on en fera.

De la même façon, méfions-nous des politiques actuelles appliquées par les USA ces jours-ci à Guantánamo. Redéfinir la notion d’ennemi comporte des risques.

Une enquête d’envergure rendue publique l’an dernier, révélait la présence d’un certain racisme latent chez les adolescents Québécois. Et devinez quoi? Elle révèle aussi que, plus que la loi, l’éducation permet de mieux comprendre et apprécier l’Autre.