Tangentes

La machine à fabriquer des putes, la suite

Je terminais la chronique de la semaine dernière par ces mots: "Vous voulez des émotions fortes? Allez au cirque, les journalistes ne sont pas des clowns. Vous voulez du sexe? Louez-vous un film, les journalistes ne sont pas des pornographes. Vous le savez trop bien: si les médias continuent à ce rythme, vous vous en détournerez. Quand l’information que l’on vous transmet cessera de fonder le sentiment de pouvoir (de liberté) qu’elle vous donne, quand, en fait, elle sera définitivement vidée de sa substance, rassurez-moi: vous vous en détournerez, non? Vous allez bien vous lasser de la machine à fabriquer des putes? Non?"

Il faudra bien que vous vous en lassiez, en fait, car les journalistes commencent sérieusement à se fatiguer de jouer les macs, les mecs! Faudra trouver un autre truc pour tirer son coup, mes p’tits amis!, le syndicat des journalistes du Journal de Montréal a déposé un grief quant à la couverture journalistique "ordonnée" de Star Académie de l’an dernier.

Dans un essai pamphlétaire dont l’audace me plaît décidément beaucoup, Qui a peur de la littérature? (éditions Mille et une nuits), Jean-Philippe Domecq remarque: "Chacun sait que c’est la demande qui commande à l’offre, que c’est le client qui oriente la qualité du produit. Or, qui donc oriente le marché du livre aujourd’hui, qui oriente le client dans sa demande? De qui dépend le commerce moderne des idées et des formes littéraires, si ce n’est de ceux qui signalent les livres à l’attention des acheteurs potentiels: autrement dit, les journalistes culturels."

Domecq dit tout ici. Remplacez simplement l’idée de "livre" par tout autre produit culturel. Et vlan pour ceux, nombreux, qui opposent à un journalisme "élitiste" (mais qu’y a-t-il donc d’élitiste à faire de l’Information, au sens premier du terme, même avec majuscule, dites-moi donc?) l’idée que le piratage dont Wilfred est victime, c’est ce dont la population veut qu’on l’entretienne à l’heure des infos? "Or, qui niera que l’émission de la pensée et de la littérature dépend de sa réception?, poursuit Domecq. Veut-on une preuve a contrario que celui qui fait vendre fait remonter la demande et ainsi commande à celui qui produit: sans journaliste pour le défendre, un livre meurt." L’omnipotence de la presse, toujours, cette nouvelle agora, cette place publique impudique… Vous n’y croyez pas encore? Savez-vous seulement combien de bouquins une chronique aimable de Foglia (chose rarissime) fait vendre? Deux jours après la parution, les libraires sont en rupture de stocks. Savez-vous seulement combien de disques de Star Académie la presse a-t-elle fait vendre? Savez-vous combien de téléspectateurs la presse a-t-elle scotché devant le Loft? Jamais les initiales d’une émission télé ne furent si appropriées: OD, pour Occupation Double, comme pour over-dose.

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De l’exception culturelle

De passage à Québec récemment, je retrouve dans ma bibliothèque d’ado de la maison familiale le livre du professeur d’astronomie et astrophysicien Carl Sagan, Cosmic Connection. C’est toujours fascinant de découvrir combien d’idées dites nouvelles, captées aujourd’hui, ont été brassées des décennies plus tôt par quelques visionnaires. L’impérialisme américain, l’exception culturelle française, le rouleau compresseur occidental qui massacre un continent, déboisent ses coutumes, et tout ça, Sagan l’avait résumé en 1973, et même amené déjà un peu plus loin: "Un problème connexe consiste en ce que les sociétés non occidentales, non technologiques, confrontées au pouvoir et à la grande richesse matérielle de l’Occident, déploient de grands efforts pour le rejoindre dans cette voie – et, sur le chemin, abandonnent, pour la plus grande part, leur vision du monde et leur mode de vie traditionnels. Pour autant que nous puissions en juger, certains modèles qui sont ainsi abandonnés contiennent précisément des éléments des modèles que nous cherchons. Il doit y avoir un moyen de préserver ces éléments – façonnés à coup de peines et d’efforts par une évolution millénaire – en abordant en même temps la technique moderne. Le problème principal, dans l’immédiat, est de répandre les progrès techniques sans briser la diversité culturelle." Impressionnés?

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De l’eau

Dans le concert de réactions positives quant à la taxe annoncée sur l’eau, on s’en veut d’émettre une note discordante. Et pourtant… nous serions peut-être bien avisés de nous méfier un peu. Que nous soyons taxés en fonction de l’utilisation que l’on fait de cette ressource, grand bien! Mais, n’êtes-vous pas amers des détournements de fonds provenant de certaines taxes? N’êtes-vous pas inquiets un peu? Oubliez-vous que la majeure partie de ce que paient, par exemple, les automobilistes en taxes de toutes sortes finit dans le "fonds consolidé"? Oubliez-vous que, pendant ce temps, nos routes sont presque tiers-mondistes?

Une taxe sur l’eau, qui servirait à la conscientisation, à l’amélioration du réseau d’aqueducs, à l’éducation écologiste même, ce serait, en effet, formidable. Mais je parie que ce ne sera pas le cas.

Dans les gouvernements, l’argent se détourne plus aisément que le cours d’une rivière.

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À califourchon sur la Californie

Drôle d’État américain, tout de même, que celui où les déboires sexuels d’un chanteur pop (Michael Jackson en l’occurrence) ont réussi, en 1993, à faire modifier une loi, rendant possible désormais le fait d’obliger une victime d’agression sexuelle à témoigner. Drôle de situation, celle où un héros de films d’action ridicules devient le chef de ce même État. C’est l’accumulation hollywoodienne de ce genre de scènes qui fait sourire.