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« J’capote su’ toé » (Impair-rialisme amer-ricain)

Vous allez bientôt, si ce n’est déjà fait, vous précipiter sur la "comédie romantique" Nez Rouge, de Érick Canuel, avec Michèle Barbara Pelletier, Patrick Huard et Pierre Lebeau. Oui, pourquoi pas?, vous avez bien le droit d’avoir des goûts (ou des curiosités) en accord avec l’air du temps. Vous avez surtout le droit de vous précipiter en salle quand le réalisateur du film La Loi du cochon (c’est aussi Érick Canuel qui l’avait réalisé) s’offre une autre pellicule.

Je vous le dis d’emblée: que j’ai donc hâte d’avoir vos commentaires!

La diversité et l’exception culturelles m’ont toujours semblé d’assez flous concepts, aux contours mal définis, plus ou moins nécessaires. Ce n’est pas parce que The Strokes ou les White Stripes font du rock intéressant qu’une nation limitrophe des States ne peut produire et apprécier les musiques de Yann Perreau ou d’Ariane Moffatt. Il n’en tient qu’à ses artistes de saisir le pouls de cette nation et de le faire accélérer. L’art est sociologique.

Bref, tout ça pour dire que, jusqu’à ce que je vois Nez Rouge, je ne percevais pas réellement de dangereuse tendance lourde à l’américanisation de notre culture. Des emprunts, oui, mais nous vivons bien sur le même continent. De sains emprunts, "enrichissants" comme on dit.

Et puis, Nez Rouge. Un malaise, au milieu des rires des spectateurs. Un malaise qui naît d’abord du travail des critiques… comment a-t-on pu encenser ce vague travail de copiste raté? J’entends encore l’élogieux René Homier-Roy… Est-ce le propos du film, qui a dérangé les critiques culturels (qui s’y font joyeusement bousculés… "enguirlandés", pour demeurer dans le mauvais ton festif), qui les a paralysés?

Tous les ressorts des comédies américano-britanniques sont activés dans ce film. Et ils y sont drôlement mal assimilés, pesants. A-t-on vraiment cru que remplacer le célèbre "I love you" en finale par "J’capote su’ toé" suffirait à s’approprier le concept? Et puis qu’est-ce qu’un acteur de la trempe de Lebeau est allé foutre dans cette galère?

L’on m’objectera que l’on ne cherche pas ici à faire du grand art. Je veux bien. Mais il reste que High Fidelity, sur le même ton mais parfaitement maîtrisé, est à cent lieues de Nez rouge.

Non, si vous souhaitez vraiment ce genre de comédie, tapez-vous-en une vraie. Britannique ou états-unienne.

Il faut franchement espérer que cet essai ne préfigure pas le cinéma québécois de demain. Certains légendaires cinéastes d’ici doivent trouver bien indigeste la projection… Avoir produit autant de bijoux pour que "ça" cartonne au box-office?!

Et c’est heureux, en fait, que Nez Rouge soit si plat. Si cela peut faire comprendre à d’autres cinéastes, à d’autres artistes, que le genre, emprunté c’est le cas de le dire, ne convient pas vraiment, cela en fera un argument de poids à l’appui de la diversité culturelle.

Dura lex…

Lu ce texte de Soljenitsyne, qui colle parfaitement à l’actuelle lubie juridique qui régit les rapports entre les êtres, qui (re)définit la morale: "En conformité avec ses objectifs, la société occidentale a choisi la forme d’existence qui était pour elle la plus commode et que je qualifierai de juridique. Les limites (fort larges) des droits et du bon droit de chaque homme sont définies par un système de lois. À force de s’y tenir, de s’y mouvoir et d’y louvoyer, les Occidentaux ont acquis une bonne dose de savoir-faire et d’endurance juridique. (…) Moi qui ai passé toute ma vie sous le communisme, j’affirme qu’une société où il n’existe pas de balance juridique impartiale est une chose horrible. Mais une société qui ne possède en tout et pour tout qu’une balance juridique n’est pas, elle non plus, vraiment digne de l’homme. Une société qui s’est installée sur le terrain de la loi, sans vouloir aller plus haut, n’utilise que faiblement les facultés les plus élevées de l’homme. (…) Lorsque toute la vie est pénétrée de rapports juridiques, il se crée une atmosphère de médiocrité morale. Et face aux épreuves du siècle, jamais les béquilles juridiques ne suffiront à maintenir les gens debout."

Voilà. C’est mon cadeau de Noël. Vous en faites ce que vous voulez… ça se met bien, roulé en boule, dans une boîte enrubannée, pour protéger les précieux bibelots.