Il y a quelques jours, dans un élan d’inspiration, je souhaitais que les étudiants puissent maintenir la cadence de leurs protestations jusqu’au 22 avril prochain, jour où les citoyens de tous les horizons se proposent de prendre la rue pour témoigner de leur indignation. Bien sûr, ce sera le Jour de la Terre. Le choix de cette date n’est pas un hasard. Une certaine aura environnementaliste semble englober les revendications qu’on entendra ce jour-là. Les sorties de Dominic Champagne et de quelques dizaines de personnalités à propos de l’exploitation du gaz de schiste et du protocole de Kyoto ne laissent aucun doute, il sera question de ressources naturelles. À première vue, donc, rien à voir avec les revendications étudiantes.
Un collègue me faisait remarquer, à juste titre, que ces deux causes – les droits de scolarité et l’exploitation des ressources – étaient fort différentes. Il a raison. Les objets de ces indignations sont distincts. J’ai néanmoins l’impression que, plus fondamentalement, il s’agit de ramifications d’un seul et même tronc planté au cœur de la place publique.
Posons-nous tout de même la question. Qu’est-ce que le mouvement étudiant contre la hausse des droits de scolarité peut bien avoir en commun avec la mobilisation du 22 avril?
Les tensions auxquelles nous assistons en ce moment même au Québec, et je prendrais le risque d’étendre ce diagnostic à l’Occident en général, concerne une perte de foi politique: nous n’y croyons plus. Il se passe avec l’État la même chose qu’avec le clergé lors des temps modernes: les instances censées nous représenter et nous convaincre du bien-fondé de leurs décisions ne remplissent plus leur rôle. L’espérance politique est désormais au point mort et aucun mécanisme d’embrayage ne laisse croire que nous pourrions passer à une vitesse supérieure pour entreprendre quoi que ce soit de nouveau et de stimulant. En somme, nous vivons un profond désenchantement . Je dis «nous», car j’ai le vague sentiment que je ne suis pas le seul.
Ainsi, l’essentiel du mouvement étudiant auquel on assiste ne concerne pas telle ou telle hausse ou telle ou telle politique de gel ou de dégel des droits de scolarité.
La mobilisation du 22 avril ne concerne pas non plus tel ou tel puits ou telle ou telle mine.
À la limite, on pourrait dire que, politiquement et économiquement parlant, aucun principe n’est mauvais en soi. L’exploitation des ressources naturelles et le principe de l’utilisateur-payeur, notamment en ce qui concerne l’éducation, ne sont pas de mauvaises idées. Ce qui importe, c’est que la communauté puisse y croire et que ceux qui la guident puissent lui donner de bonnes raisons de le faire.
En deçà de telle ou telle politique ou de telle ou telle réforme ponctuelle, c’est tout le principe de la dignité qui est en cause. La confiance se mérite. C’est d’ailleurs le sens de l’expression «être digne de confiance».
Être indigné, dans ce contexte, c’est ressentir que ceux qui nous dirigent ne sont justement plus dignes de confiance. Il est sans doute là, le dénominateur commun de la lutte étudiante et de la mobilisation à laquelle nous sommes conviés dimanche prochain. Cette indignation pourrait englober une foule d’autres objets ponctuels qu’on voit apparaître tous les jours dans l’actualité. En en parlant avec certains amis et collègues – et je vous invite à faire de même –, il m’est apparu qu’ils avaient tous leurs propres raisons de vouloir participer à cette mobilisation.
Ces diverses raisons ne sont pas une collection d’insatisfactions personnelles. La vie en communauté implique inévitablement certains sacrifices. C’est ce qu’on appelle un contrat social: chacun accepte de renoncer à quelques libertés et avantages personnels afin de prendre part à un projet commun. Encore là, ces sacrifices reposent sur un lien de confiance. Chacun doit présumer, autant que faire se peut, que son prochain respectera le contrat.
On le voit: le lien de confiance qui unit les sujets d’une société est corollaire de celui qui unit les citoyens à leurs représentants. L’un ne va pas sans l’autre. Si l’un des deux se rompt, l’autre se rompra aussi.
C’est bien ce qui se passe, en ce moment… La communauté n’y croit plus. Le lien de confiance avec les représentants est brisé. Et tranquillement, sournoisement, c’est le lien qui unit les individus entre eux qui se détériore. À un point tel que ce que nous appelons la société se désolidarise. C’est la cohésion de la foule qui est atteinte.
En somme, le contrat social semble rompu.
L’œuf ou la poule? Est-ce que le lien avec nos représentants a été coupé parce que nous nous sommes réfugiés individuellement dans la sphère du privé ou bien, à l’inverse, est-ce plutôt l’individualisme qui a mené à une perte de confiance politique? Difficile de répondre à ces questions. Elles sont interdépendantes. On ne peut que constater l’usure alarmante du tissu social. Il est sur le point de se déchirer.
Ce diagnostic est grave. Et c’est probablement ce que nous tentons de refuser en nous mobilisant massivement depuis l’automne dernier, à travers des mouvements comme Occupons Montréal, la lutte étudiante et la manifestation du 22 avril. Nous tentons de nous recoudre, de nous raccommoder… Nous n’acceptons pas de devenir une simple collection d’individus. Nous sommes des nœuds, pas des points de rupture.
Je suis un putain de terrien! Un humain! Où sont mes amis? Où sont mes semblables? Et où sont passés ceux à qui j’ai remis les clés de nos trésors collectifs?
Ils font un tour de bateau en compagnie d’autres types qui sont occupés à me fourrer…
Dans tous ces mouvements particuliers, certes, je suis souvent en désaccord sur tel ou tel point, sur les manières et les objectifs. J’ai été vacciné au cynisme très jeune. Je pourrais bien chipoter en vous avouant que je n’ai jamais lu une ligne du protocole de Kyoto et que je ne sais même pas c’est où, Wall Street.
Mais ce serait faire la fine bouche, au fond…
Car ce qui est plus grave encore, c’est que je ne sais même pas c’est où, notre agora. Je ne sais même pas où se trouvent ceux avec qui je partage le bien commun.
On se voit le 22… On trouvera bien!
À dimanche.
Merci monsieur.. Nous ne sommes pas de la même génération, ni du même pays peut-être mais qu’importe! Je serai là où il faut être ce 22 avril. Avec vous. ;)
Je remarque aussi que la hausse des coûts de scolarité s’inscrit ouvertement, au gouvernement, dans une perspective plus large de tarification des services publics, la fameuse « révolution culturelle » de Bachand.
Au même titre que la hausse des tarifs d’électricité, la taxe santé (ligne 404 du rapport d’impôt), les frais de stationnement dans les hôpitaux et les CLSC, les frais pour obtenir des documents officiels (extraits de naissance, etc.), les péages, etc.
Il y a donc beaucoup d’hypocrisie de la part de ce gouvernement de vouloir découpler la lutte des étudiants de toutes les autres causes.
Inutile de préciser que la « révolution culturelle » de Bachand s’inscrit dans une politique plus vaste d’implantation de l’idéologie néo-libérale: privatisations, sous-traitance et autres PPP, baisses d’impôts pour les très riches et les grosses corporations, abandons des ressources naturelles, déréglementations (en particulier en environnement), etc.
En cela, les mouvements qui veulent converger le 22 avril ne sont pas un amalgame de causes « pas rapport »: C’est une volonté de protester contre ce que le 1% fait à notre société et à notre planète.
Est-ce qu’il y a un groupe d’organisé en Estrie pour le 22 avril?
Est-ce que quelqu’un sait s’il y a un autobus qui part de Sherbrooke pour se rendre au point de rencontre du 22 avril?
Merci!
Isabel
Il y a également un important lien à faire avec un mouvement entamée depuis plusieurs années et qui s’intensifiera avec la fameuse « économie verte » prônée à l’UNEP et par plusieurs pays et dont l’infrastructure et les modalités seront déterminées au prochain Sommet de la terre à Rio en juin. Un mouvement qui cherche à tout privatiser, à tout assujettir à la loi du marché, même la nature, non pas seulement les ressources naturelles, mais également les services rendues par la nature et les écosystèmes que ce soit au niveau de l’eau, de la pollinisation des abeilles, du cycle du carbone. Un mouvement poussé par des multinationales, par les marchés financiers qui cherchent à mettre un prix sur tout, à commercialiser et financiariser la nature sous le couvert de vouloir la protéger. Cette logique capitaliste, néolibérale que tout a un prix, et que justement en y apposant un prix, cette chose prend enfin de la valeur. Que ce soit la santé, l’éducation, l’environnement, ce sont des droits universels, inaliénables et on ne doit pas accepter de les marchandiser. Que les gens se soulèvent et protestent ensemble pour le respect du droit à l’éducation et pour le respect des droits de la planète est à mon avis d’une logique incomparable et surtout extrêmement saine. L’arrogance des gouvernements et du secteur privé a depuis longtemps dépassée la limite de la dignité et de la décence.
D’accord avec tous ces commentaires
Marchons le 22 avril n’ayons plus peur des politiciens qui se foutent de nousen nous faisant miroiter que des mensonges
La société québécoise est-elle en ce moment dans un mouvement de repli sur soi, au fond de sa cours avec son barbecue et sa piscine, comme la société américaine d’après-guerre ? Mouvement de fermeture et de conservatisme qui a conduit la jeunesse à mener la révolution culturelle des années 60. Il est cependant malheureux que les revendications des étudiants étudiantes surviennent en réaction à une hausse des frais de scolarité. Une véritable révolution aurait commandé un débat sur la pertinence même de ces frais, qui ne font que garantir un accès privilégié à une mince frange de la société. Malheureusement, les classes sociales ont une tendance à se maintenir elles-mêmes dans leur position de supériorité ou d’infériorité. C’est la raison pour laquelle la majorité de la population n’appuie pas les étudiants : seulement 15 % des travailleurs ont fréquenté les études supérieures.
Une véritable révolution aurait fédéré les classes moins favorisées autour de la gratuité pour deux raisons : d’abord pour permettre l’accès aux études à leurs propres enfants, ensuite pour reconnaître l’enrichissement collectif d’une société instruite. Conséquemment, les professionnels devant accepter de participer plus activement aux financements de l’éducation, ce qu’ils ont malheureusement beaucoup de difficulté à faire. C’est toujours et encore la lutte des classes.
j’ai lu les propos de Simon Jodoin et les commentaires, intéressant!.
Un point avec lequel je ne suis pas d’accord cependant (de l’article de Simon Jodoin): le concept d’utilisateur-payeur en ce qui concerne l’éducation. Le Québec s’est battu pour que deux valeurs fondamentales persistent: le droit aux soins de santé et à l’éducation.
Charest a charcuté la première valeur, entre autres avec ses ppp.
Il en est train de faire la même chose avec l’éducation, rendre aux riches ce qui appartient à tous.
L’éducation et l’instruction ont été des recettes à succès pour les Québécois, s’instruire, se sortir de la pauvreté par l’instruction.
Peuple historiquement catholique, les soins de santé et d’éducation étaient gratuits, donnés par des »bonnes soeurs » (bénévoles et dévouées) avant de devenir un service public avec des gens rémunérés. Le Québec des années 60 n’était pas riche, mais PAS ENDETTÉ. Aujourd’hui, on n’a pas d’autre choix que de rester instruits, ne serait-ce que pour payer la dette de 185 Milliars de $. Ce n’est pas avec un secondaire 5 et le salaire relatif qu’on va prendre le dessus.
Un peuple peu instruit (déja y a beaucoup de décrochage scolaire sans cette hausse de frais) est facilement manipulable et voué à travailler dans l’exploitation généré par son propre gouvernement, l’exploitation du peuple ouvrier notamment dans les compagnies étrangères en lien avec le gouvernement venu exploité nos richesses et la masse ouvrière.
Quand j’étais jeune, on disait que les Chinois étaient pauvres (on pouvait même parrainer un enfant chinois pour quelques dollars par mois), maintenant c’est nous qui allons travailler pour les Chinois, venus nous exploiter ici, nous et nos richesse naturelles. Pas que les Chinois. N’importe qui avec des $ voulant nous saigner, la Terre et le peuple. Ai-je besoin de rappeler les mines d’amiante, les vidéos de Richard Desjardins sur les forêts et les mines, entre autres, et tellement d’autres points.
Non, l’éducation doit rester facilement accessible, financièrement, pour le peuple, pour l’humanité, pour la Terre.