22 avril 2012

22 avril: Printemps, désenchantement et confiance

Il y a quelques jours, dans un élan d’inspiration, je souhaitais que les étudiants puissent maintenir la cadence de leurs protestations jusqu’au 22 avril prochain, jour où les citoyens de tous les horizons se proposent de prendre la rue pour témoigner de leur indignation. Bien sûr, ce sera le Jour de la Terre. Le choix de cette date n’est pas un hasard. Une certaine aura environnementaliste semble englober les revendications qu’on entendra ce jour-là. Les sorties de Dominic Champagne et de quelques dizaines de personnalités à propos de l’exploitation du gaz de schiste et du protocole de Kyoto ne laissent aucun doute, il sera question de ressources naturelles. À première vue, donc, rien à voir avec les revendications étudiantes.

Un collègue me faisait remarquer, à juste titre, que ces deux causes – les droits de scolarité et l’exploitation des ressources – étaient fort différentes. Il a raison. Les objets de ces indignations sont distincts. J’ai néanmoins l’impression que, plus fondamentalement, il s’agit de ramifications d’un seul et même tronc planté au cœur de la place publique.

Posons-nous tout de même la question. Qu’est-ce que le mouvement étudiant contre la hausse des droits de scolarité peut bien avoir en commun avec la mobilisation du 22 avril?

Les tensions auxquelles nous assistons en ce moment même au Québec, et je prendrais le risque d’étendre ce diagnostic à l’Occident en général, concerne une perte de foi politique: nous n’y croyons plus. Il se passe avec l’État la même chose qu’avec le clergé lors des temps modernes: les instances censées nous représenter et nous convaincre du bien-fondé de leurs décisions ne remplissent plus leur rôle. L’espérance politique est désormais au point mort et aucun mécanisme d’embrayage ne laisse croire que nous pourrions passer à une vitesse supérieure pour entreprendre quoi que ce soit de nouveau et de stimulant. En somme, nous vivons un profond désenchantement . Je dis «nous», car j’ai le vague sentiment que je ne suis pas le seul.

Ainsi, l’essentiel du mouvement étudiant auquel on assiste ne concerne pas telle ou telle hausse ou telle ou telle politique de gel ou de dégel des droits de scolarité.

La mobilisation du 22 avril ne concerne pas non plus tel ou tel puits ou telle ou telle mine.

À la limite, on pourrait dire que, politiquement et économiquement parlant, aucun principe n’est mauvais en soi. L’exploitation des ressources naturelles et le principe de l’utilisateur-payeur, notamment en ce qui concerne l’éducation, ne sont pas de mauvaises idées. Ce qui importe, c’est que la communauté puisse y croire et que ceux qui la guident puissent lui donner de bonnes raisons de le faire.

En deçà de telle ou telle politique ou de telle ou telle réforme ponctuelle, c’est tout le principe de la dignité qui est en cause. La confiance se mérite. C’est d’ailleurs le sens de l’expression «être digne de confiance».

Être indigné, dans ce contexte, c’est ressentir que ceux qui nous dirigent ne sont justement plus dignes de confiance. Il est sans doute là, le dénominateur commun de la lutte étudiante et de la mobilisation à laquelle nous sommes conviés dimanche prochain. Cette indignation pourrait englober une foule d’autres objets ponctuels qu’on voit apparaître tous les jours dans l’actualité. En en parlant avec certains amis et collègues – et je vous invite à faire de même –, il m’est apparu qu’ils avaient tous leurs propres raisons de vouloir participer à cette mobilisation.

Ces diverses raisons ne sont pas une collection d’insatisfactions personnelles. La vie en communauté implique inévitablement certains sacrifices. C’est ce qu’on appelle un contrat social: chacun accepte de renoncer à quelques libertés et avantages personnels afin de prendre part à un projet commun. Encore là, ces sacrifices reposent sur un lien de confiance. Chacun doit présumer, autant que faire se peut, que son prochain respectera le contrat.

On le voit: le lien de confiance qui unit les sujets d’une société est corollaire de celui qui unit les citoyens à leurs représentants. L’un ne va pas sans l’autre. Si l’un des deux se rompt, l’autre se rompra aussi.

C’est bien ce qui se passe, en ce moment… La communauté n’y croit plus. Le lien de confiance avec les représentants est brisé. Et tranquillement, sournoisement, c’est le lien qui unit les individus entre eux qui se détériore. À un point tel que ce que nous appelons la société se désolidarise. C’est la cohésion de la foule qui est atteinte.

En somme, le contrat social semble rompu.

L’œuf ou la poule? Est-ce que le lien avec nos représentants a été coupé parce que nous nous sommes réfugiés individuellement dans la sphère du privé ou bien, à l’inverse, est-ce plutôt l’individualisme qui a mené à une perte de confiance politique? Difficile de répondre à ces questions. Elles sont interdépendantes. On ne peut que constater l’usure alarmante du tissu social. Il est sur le point de se déchirer.

Ce diagnostic est grave. Et c’est probablement ce que nous tentons de refuser en nous mobilisant massivement depuis l’automne dernier, à travers des mouvements comme Occupons Montréal, la lutte étudiante et la manifestation du 22 avril. Nous tentons de nous recoudre, de nous raccommoder… Nous n’acceptons pas de devenir une simple collection d’individus. Nous sommes des nœuds, pas des points de rupture.

Je suis un putain de terrien! Un humain! Où sont mes amis? Où sont mes semblables? Et où sont passés ceux à qui j’ai remis les clés de nos trésors collectifs?

Ils font un tour de bateau en compagnie d’autres types qui sont occupés à me fourrer…

Dans tous ces mouvements particuliers, certes, je suis souvent en désaccord sur tel ou tel point, sur les manières et les objectifs. J’ai été vacciné au cynisme très jeune. Je pourrais bien chipoter en vous avouant que je n’ai jamais lu une ligne du protocole de Kyoto et que je ne sais même pas c’est où, Wall Street.

Mais ce serait faire la fine bouche, au fond…

Car ce qui est plus grave encore, c’est que je ne sais même pas c’est où, notre agora. Je ne sais même pas où se trouvent ceux avec qui je partage le bien commun.

On se voit le 22… On trouvera bien!

À dimanche.

22avril.org