Rentrée culturelle 2012

Bas les masques, c’est la rentrée!

Je voulais attendre le résultat des élections pour remettre ma chronique cette semaine. J’allais peut-être trouver, en écoutant la soirée électorale, une idée géniale. Ce n’est pas arrivé.

Je vous dirais qu’il va falloir travailler fort, si vous voulez le fond de ma pensée…

Il se produit en ce moment au Québec, sur tous les plans, quelque chose comme un retour de vacances. Peut-être même un retour de canot-camping genre sport extrême. L’automne approche à grands pas, on pense aux conserves. L’air de rien, ce sera bientôt Noël et plus tard l’hibernation. Le soleil se couche de plus en plus tôt.

C’est la rentrée… La rentrée de toutes les rentrées peut-être.

Que va-t-il se passer à partir de maintenant?

Allez savoir…

Mais je sais une chose cependant, c’est que l’effervescence des derniers mois ne se reproduira pas dans un avenir rapproché. En tout cas, pas dans la rue, pas telle que nous l’avons connue.

Est-ce dire que l’indignation va s’estomper? Sans doute pas, mais vous auriez raison de vous en inquiéter.

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Le soir de sa victoire dans Gouin, Françoise David a parlé de l’importance de donner une voix à «ceux qu’on n’écoute pas beaucoup».

Elle avait bien raison. En aparté, je vous dirais que Françoise David est peut-être, d’ailleurs, la grande gagnante de cette élection.

Donner une voix à ceux qu’on n’écoute pas beaucoup, donc, même s’ils ont fait pas mal de bruit ces derniers mois. Mais aussi, j’ajouterais, leur donner un visage. Il ne suffit pas de se faire entendre, il faut se faire voir. L’anonymat n’est plus une option. Il faut jouer maintenant à visage découvert.

Cette semaine, en première page du Voir, bien que ce soit la rentrée culturelle, vous ne voyez pas une figure connue ou reconnue. Vous ne voyez pas de visages, même. Derrière les célèbres masques de Guy Fawkes, popularisés par les sympathisants du mouvement Anonymous, se trouvent quelques travailleurs qui contribuent au quotidien à cette publication gratuite. Vous ne les connaissez pas, vous ignorez qui ils sont et pourtant, vous goûtez en ce moment même le fruit de leur travail.

On a beaucoup parlé du droit de manifester de manière anonyme depuis quelque temps. On a beaucoup moins discuté du devoir qui nous incombe de dialoguer à visage découvert. En cette rentrée automnale, c’est peut-être ce qu’il faudra se donner comme objectif pour les mois à venir. Tous ces «je» qui se sont exprimés au «nous» depuis des semaines, qui sont-ils?

Faut-il, pour dialoguer, continuer dans la surenchère de slogans? Ce serait malhabile de poursuivre sur ce chemin. L’occupation de la voie publique n’est pas une fin en soi et le contexte politique actuel ne justifie pas que l’on puisse persister dans la simple dénonciation. Il est temps de déposer les masques, en somme. Faisons le point: qui parle au juste, et de quoi?

Disons les choses simplement, il était bien temps que ça brasse un peu en ce platte pays qui est le mien. La terre était devenue infertile. Il a fallu la travailler et y mettre un peu de compost et un peu de fumier. Mais maintenant, qu’est-ce qu’on mange?

Après avoir occupé la place publique, il faudra bientôt songer à occuper nos réflexions.

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Depuis quelques mois, au Voir, nous avons publié des dizaines de lettres ouvertes signées par nos lecteurs, des gens que nous ne connaissions pas. Nous en avons reçu des centaines. J’ajoute à tout cela les billets de blogueurs, la plupart étant des inconnus du grand public, qui ont remporté un vif succès. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls. Les sections «opinion» des médias ne dérougissent pas et de nouvelles publications visant à diffuser des points de vue inusités apparaissent tous les jours sur le Web et dans l’imprimé.

Les diverses prises de position ne se limitent pas à l’écriture de textes. Au plus fort du conflit étudiant, ceux du Conservatoire d’art dramatique dansaient la claquette sur les quais du métro à Montréal. Je vais les regretter, ceux-là! Il serait dommage qu’ils rentrent tout bonnement à la maison. De même, nous avons publié des dizaines de photos des gens déguisés, des pancartes décorées parfois porteuses de poésie.

C’est dans ce contexte que cette rentrée politique, scolaire et culturelle se fait toute spéciale. Les plaques tectoniques du pouvoir viennent de bouger considérablement. Tous s’entendent pour dire que nous venons de vivre un printemps historique. Voilà qui est bien joli, mais qu’en est-il de cet automne qui commencera dans quelques jours? Où sommes-nous maintenant? Qu’allons-nous récolter? Nous n’allons tout de même pas laisser tout ce jardin en friche affronter le gel à venir en se disant qu’on reviendra piocher tout bonnement au mois de mai.

Il ne s’agit pas de mettre en conserve les fruits de l’indignation pour mieux les ranger à l’ombre au placard. L’enjeu est de pouvoir les conserver et en extraire des semences pour les saisons à venir.

Ainsi va la culture, quand les fruits sont mûrs, il faut les cueillir et les apprêter. Les récoltes se font minutieusement, avec de nouveaux outils. Il faut même, dans bien des cas, travailler à la main. Ceux qui persisteront maintenant dans la contestation pure et simple ressembleront à des fermiers qui utilisent une pioche et un râteau pour cueillir des tomates…

…De quoi mettre du sable dans la sauce.

On se souhaite mieux.

Bonne rentrée à tous!