Le terminator
Quel privilège pour moi de me retrouver dans un espace d’expression aussi totalement libre que le journal Voir. Vous me connaissez pour ma franchise et, j’espère aussi, pour ma rigueur. Je n’ai jamais cru que les deux devaient s’exclure. Au contraire. Je crois qu’elles se complètent à merveille.
Comment remercier Pierre Paquet et Christophe Bergeron pour leur immense confiance, leur gentillesse – oui, ça compte encore de nos jours – et la carte blanche qu’ils m’ont remise pour cette chronique.
J’ai débuté ma carrière de chroniqueure au Devoir en 1995. Mes lecteurs, me disent-ils encore, en gardent de bons souvenirs. Je la poursuis avec plaisir à The Gazette où ma liberté de parole est absolue.
Aujourd’hui, cette entrée à Voir, c’est comme la bouteille de champagne que j’ouvre en récompense! J’y parlerai de politique, bien sûr. Mais je pourrai aussi, enfin, m’aventurer ailleurs, avec vous, dans tout ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes. Chanceuse, la fille.
Surtout, merci à vous, lecteurs de Voir, de vivre ce nouveau changement. Je pense qu’on va avoir beaucoup de fun ensemble…
* * *
Regardez bien votre bulletin de vote le 26 mars parce qu’il va y manquer un nom très important – celui de Stephen Harper. En fait, jamais un premier ministre canadien n’aura autant contrôlé l’agenda politique du Québec.
L’ADN de Harper est partout. Le "fédéralisme d’ouverture", la voix du Québec à l’UNESCO et la motion sur la nation québécoise, c’est lui. Les deux gros milliards de dollars que le Québec pourrait recevoir lors du budget fédéral du 19 mars, l’argent pour le Plan Vert de Charest, c’est encore lui.
La campagne, c’est une salle d’attente pour le budget d’un autre gouvernement! En attendant, Jean Charest s’est mis sur le pilote automatique. André Boisclair dit qu’il ajustera son cadre financier en conséquence. Mario Dumont l’attend pour pouvoir dévoiler le sien. Harper, c’est le Banquier. Le vrai.
Bref, Charest n’est pas le seul à "accrocher sa charrette à l’arrière de Stephen Harper", pour reprendre l’image de Dumont. Avertissement: de voir les trois chefs se mettre ainsi à la remorque d’un autre premier ministre risque de finir par déconsidérer les leaders québécois aux yeux des électeurs.
Boisclair dénonce l’ingérence d’Ottawa dans la campagne, c’est vrai, mais il se trompe de cible. Il s’arrête à la question des transferts fédéraux après un Oui au référendum. Y en aurait-il ou pas? Un faux débat. Plutôt, un débat de campagne référendaire, pas d’élection.
C’est le principe même d’un budget fédéral déposé à une semaine du vote, et taillé sur mesure pour le gouvernement sortant, qui constitue la véritable ingérence. C’EST GROS COMME UN ÉLÉPHANT DANS UN MAGASIN DE PORCELAINE. Qui explique cela aux électeurs? Les trois chefs semblent trop occupés à saliver devant la manne promise et à se chicaner sur qui saurait mieux la dépenser. C’est le syndrome Séraphin Poudrier: qui oserait dénoncer du bel argent de même, viande à chien?
Pendant ce temps, Boisclair accuse Charest de ne pas avoir de position constitutionnelle. Ah, non? Pourtant, il en a une. C’est celle que Harper lui a donnée. Si Charest avait été face aux libéraux fédéraux, vous croyez que le Québec serait à l’UNESCO ou qu’il pourrait marteler que la nation québécoise est reconnue?
Savez-vous où Harper a pris sa position constitutionnelle? Dans la besace du PQ et du Bloc, qui s’époumonent depuis des lunes sur l’UNESCO, la nation et le déséquilibre fiscal.
Et qu’est-ce qu’il a fait, Harper, pour neutraliser tout ce beau monde? Vlan, dans les dents, il a piqué l’agenda du PQ pour le refiler à Charest. Ne reste plus au Parti québécois que la souveraineté. Une belle ironie. Lucien Bouchard était si populaire qu’il pouvait l’enterrer sous ses conditions gagnantes. Boisclair l’est si peu qu’il l’appelle au secours comme bouée de sauvetage.
Un sauvetage possible, mais risqué. De moins en moins d’électeurs, péquistes ou non, croient que le chef du PQ a ce qu’il faut pour la faire. Ça s’appelle un déficit de crédibilité.
Mais beaucoup dans le camp souverainiste ont beau ne pas aimer Boisclair, l’odeur d’un désastre possible provoquera quelques appels à l’unité. La FTQ est censée le faire. D’autres suivront. Le temps dira si ce sera trop peu, trop tard.
Car leur adversaire, leur vrai, Harper, est costaud. C’est un Terminator politique. Il veut léguer à l’histoire la déconfiture du PQ, la montée de son siamois adéquiste, le tout couronné plus tard d’une gifle au Bloc et du renvoi de Stéphane Dion à sa classe d’université. Rien de moins.
Vous me direz que le Terminator aurait eu la partie moins facile si le chef péquiste s’était montré capable de canaliser l’insatisfaction envers Charest? C’est vrai. Vous me direz aussi que la campagne est jeune et que tout peut arriver. Vous avez encore raison.
Mais quoi qu’il arrive le 26 mars, dites-vous bien que le Terminator n’est pas près de s’arrêter.