Voix publique

Le révélateur

Que le prochain gouvernement soit minoritaire ou majoritaire, qu’il soit libéral ou péquiste, nos problèmes resteront entiers. Et ce n’est pas l’argent du budget Harper qui va régler quoi que ce soit.

La campagne électorale aura eu cela de bon qu’elle aura été un puissant révélateur de certains de nos problèmes les plus importants, dont celui de la fragmentation de la société québécoise et de la multiplication des points de conflit. C’est comme si, dénués de projet national pour le moment, et à défaut de nous battre avec Ottawa qui calme de plus en plus le jeu, nous commencions à nous retourner les uns contre les autres.

À travers cette campagne de cour d’école où les chefs se sont traités de menteur, de coquille vide, de catastrophe, et j’en passe, des clivages bien plus réels sont apparus.

Le pseudo-débat sur les accommodements raisonnables a fait surgir celui qui éloigne de plus en plus le Montréal multiculturel des régions. Plutôt que de se mettre à l’écoute l’un de l’autre, on sent monter une animosité mutuelle.

Chez plusieurs Montréalais, il y a ce brin troublant de condescendance envers les régions, incluant celle de Québec. On leur donne l’impression qu’il serait devenu ringard de vivre dans un environnement essentiellement francophone. Ça tient de l’inconscience la plus totale de l’importance des régions dans la préservation du français, et de bien plus encore.

Dans les régions, un écoeurement certain envers Montréal s’exprime par la caricature, dont celle de la "gau-gauche du Plateau Mont-Royal". Comme si de vivre sur le Plateau était devenu un crime contre l’humanité, ou qu’on perdait de vue la nécessité évidente d’avoir une métropole forte et diversifiée.

Et les chefs d’encourager ce clivage. Dans cette élection, Montréal n’est même plus un enjeu. On n’en a que pour les régions, là où ces fameuses luttes à trois vont décider du vainqueur.

Quant aux analystes surpris par la montée de l’ADQ, certains auront aussi préféré qualifier ces appuis d’adolescents ou d’immatures, plutôt que de tenter de comprendre ce que ça pouvait cacher.

Ce qui nous amène aux clivages économiques. Ici comme ailleurs, ils se creusent de plus en plus. C’est vrai que beaucoup de monde en arrache. Mais la classe moyenne en arrache aussi. D’où sa réceptivité à Mario Dumont, le seul chef donnant l’impression de s’en préoccuper.

LES GIROUETTES

La campagne aura aussi révélé des chefs politiques aux convictions flexibles et changeantes. Dumont n’aura pas été la seule "girouette" à virer de bord pour des raisons électoralistes.

Jean Charest, pourtant premier ministre, n’aura pas hésité une seconde à jouer avec la question explosive de la partition du Québec. Une vraie honte. Quant à André Boisclair, il aura été de droite une semaine, du centre la suivante, pour finir à gauche avec son appel aux "progressistes, féministes et altermondialistes"!

Du débat des chefs au passage obligé au spectacle de la grand-messe de Tout le monde en parle, aucun ne se sera démarqué par la force ou la constance de ses convictions. Le "clientélisme" aura dominé cette campagne comme aucune auparavant. Nos chefs ne font plus dans le "qui m’aime me suive", mais dans le "je suivrai qui voudra m’aimer".

Quant à la "gauche", elle demeure surtout divisée entre Québec solidaire, le Parti vert et le SPQ Libre du PQ. Les trois principaux partis peuvent donc dormir tranquilles.

UN QUÉBEC DOMESTIQUE?

La campagne aura aussi montré la confusion des genres qui perdure dans le mouvement souverainiste – une confusion qui s’accentue depuis le dernier référendum.

On aurait pu croire qu’après avoir vu Stephen Harper leur confisquer leurs combats pour l’UNESCO, la "nation" et le déséquilibre fiscal, les chefs souverainistes auraient appris leur leçon: qu’ils se concentreraient sur leur option et cesseraient de jouer sur le terrain des fédéralistes. Pas tout à fait.

Si, le lendemain du budget Harper, le chef du PQ ramenait la souveraineté dans le décor, dans les heures qui l’ont suivi, c’est le réflexe provincialiste qui a pris le dessus. Et voilà qu’on ouvrait un nouveau front avec Ottawa: récupérer des points d’impôt ou la TPS. Encore ce réflexe d’améliorer le fonctionnement de la fédération. Le "rendez-nous notre butin", ça sent pas mal l’autonomisme.

Non, non, disent-ils, plus le butin revient, plus ça aidera à faire l’indépendance! Vraiment? Si l’indépendance se faisait par points d’impôt interposés ou par chèques d’Ottawa, ça se saurait. Et l’on ne verrait pas Jean Charest, Mario Dumont et Stephen Harper mener le même combat.

En 1962, Hubert Aquin, un de nos penseurs les plus "lucides" – dans le vrai sens du mot -, craignait ce qu’il appelait la "domestication" du Québec. À voir les trois chefs remercier Harper en choeur pour son budget, il y a de quoi s’en inquiéter.

Sur un plan, disons, plus optimiste, il reste qu’en révélant des problèmes et des clivages importants, cette campagne nous aura rendu un très grand service. À condition, bien sûr, de ne pas les oublier le 27 mars au matin.

Et à condition de vouloir les regarder avec lucidité. Pas celle de Lucien Bouchard… Celle d’Hubert Aquin.