Voix publique

C’est la faute à personne

Il y a une nouvelle mode au Québec: créer des commissions d’enquête dont le mandat est de ne PAS identifier les responsables, seulement d’expliquer ce qui s’est passé. C’est aussi fou qu’un procès où le juge ne ferait que le récit des faits, sans coupable.

C’est le cas de la commission Johnson sur le viaduc de la Concorde et du rapport de Me Bernard Grenier sur Option Canada – un organisme créé pour vendre l’option du Non avant et pendant le référendum d’octobre 1995.

Résultat dans le cas Grenier: le refus d’identifier ceux qui ont fait ou permis des dépenses illégales pendant le référendum soulève plus de questions qu’il ne donne de réponses.

Dans ce rapport, il y a trop de "peut-être" et de "bonne foi" présumée chez tout ce beau monde, que Grenier refuse de blâmer, se limitant à quelques "conclusions défavorables" ou "manques de vigilance".

Rien non plus sur le financement du "love-in" du 27 octobre 1995 où des milliers de Canadiens sont venus crier "We love you Kweebek!".

Selon le rapport Grenier, par le biais du Conseil pour l’unité canadienne et de Patrimoine Canada au fédéral, Option Canada aurait reçu près de 11 millions $, dont plus de 6 millions $ tout juste avant ou pendant la campagne référendaire.

Le rapport conclut pourtant que de tout ce magot, Option Canada n’aurait dépensé illégalement que 539 000 $ de fonds publics pendant la campagne. Ça laisse songeur.

En jouant aux trois petits singes qui n’ont rien vu, rien entendu et rien dit, on nous dit sans rire qu’à Ottawa et au Comité du Non au Québec, PERSONNE ne savait ce qui se passait. Vous croyez ça, vous, que tout ce monde pensait que l’argent qui leur pleuvait dessus tombait des arbres?

Quant aux dirigeants du PLQ, Grenier ne les blâme pas, disant que la "preuve relative" de ce qu’ils savaient est "empreinte de clair-obscur, voire de flou". C’est plutôt le rapport Grenier qui fait dans le flou.

Prenez l’exemple quelque peu farfelu de l’agente officielle du Comité du Non, qui devait vérifier et approuver toutes les dépenses. Grenier écrit tour à tour qu’il a "peine à croire" sa version, mais qu’il ne met "aucunement en doute" son intégrité, qu’il ne peut "conclure qu’elle a été volontairement fautive", mais qu’à son avis, elle s’est "fermé les yeux relativement aux dépenses acquittées par Option Canada en période référendaire"! Vous suivez? Faut-il en rire ou en pleurer?

Quant à l’ordonnance de non-divulgation de la preuve qu’on prolonge indéfiniment, elle est antidémocratique. Elle doit être levée pour donner accès à TOUTE la preuve.

Et que dire du fait qu’Option Canada a obtenu ses millions de Patrimoine Canada sous le faux prétexte de promouvoir les valeurs canadiennes? Ça s’appelle un détournement de fonds publics.

S’il existe des lois pour limiter les dépenses référendaires et électorales, c’est que l’argent, ça compte. L’argent achète l’influence et la visibilité. Ottawa n’a pas lésiné sur les dépenses avant, pendant et après 1980 et 1995 parce qu’on s’y sentait justifié de le faire pour "sauver" le Canada.

Comme l’a démontré la commission Gomery, l’affaire Option Canada n’est que la pointe de l’iceberg où les milieux politiques et d’affaires n’hésitent pas à faire pleuvoir les millions ici pour vendre le Canada. L’éthique ne pèse pas lourd quand un pays cherche à se préserver.

Un dernier point. Maintenant que le PQ ne s’engage plus à tenir de référendum, ces questions seraient-elles en train de devenir hypothétiques?

C’EST QUAND QU’IL S’EN VA, MAMAN, LE MONSIEUR?

Une question moins hypothétique est celle de l’avenir de Jean Charest. Je répète ce que je dis depuis une semaine: s’il y a un "deal" sur le budget, cela aura surtout été grâce aux députés et ministres libéraux qui, refusant de se rendre à l’abattoir le sourire aux lèvres, auront empêché leur patron de commettre l’irréparable.

S’il n’y a pas d’élections cet été, avec les résultats du 26 mars et après avoir cherché cette semaine à lancer ses troupes dans une élection suicidaire, des libéraux influents seront tentés de montrer discrètement la porte à Jean Charest d’ici l’automne. Mais s’il y a une élection, les électeurs pourraient faire ce boulot eux-mêmes.

L’histoire d’Option Canada rappelle aussi à quel point le référendum aura été une malédiction pour Charest. C’est le "Capitaine Canada" de 1995 que Jean Chrétien a forcé de quitter Ottawa en 1998 pour diriger le PLQ et se battre contre saint Lucien.

Et Chrétien de rire dans sa barbe: exit le chef du Parti conservateur! Le drame de Charest – pourtant pas un premier ministre pire que ses deux prédécesseurs -, c’est que la greffe n’a jamais pris ici, ni au PLQ, ni avec les Québécois.

Jean Charest est un politicien québécois de culture fédérale. C’est là qu’il est à son meilleur, c’est ce qu’il aime, c’est là qu’il est heureux.

Il est jeune et peut encore donner beaucoup à son pays. Souhaitons-lui de retrouver son vrai chemin.