Voix publique

Une expérience de labo

Pauline Marois disait déjà ne plus vouloir discuter de "date" référendaire. Mais dès que sa couronne fut en place, coup de théâtre! Le référendum lui-même prenait le bord. Elle se déclarait maintenant prête à gouverner un, deux ou trois mandats, dix ans ou plus, sans en tenir un.

Croyant peut-être que la souveraineté se fera un jour par immaculée conception, elle veut "parler du projet du pays", mais pas du "moyen" pour le réaliser. Bref, pas question de demander un mandat sur cette question ni même d’utiliser des fonds publics pour en "parler".

Une fois au pouvoir, elle parlerait pour parler. Car sans horizon référendaire pour mobiliser, elle ne se parlerait qu’à elle-même. Et il y a cette idée bizarre d’attendre que LE peuple lui dise, dans le creux de son élégante oreille, le moment où il serait prêt pour un référendum. Le Capitaine Bonhomme n’aurait pas fait mieux comme histoire à dormir debout.

Bon. Faisons quand même comme s’il y avait une parcelle de logique ici et posons la question: et le peuple, il fera comment pour vous le dire si vous ne lui en demandez pas le mandat dans une élection? Sa réponse, en point de presse, fut de parler de sondages… Traduction: pas de référendum sans sondages, multiples on imagine, où le OUI serait majoritaire. Comme si une campagne n’aurait aucun effet et que le gagnant dans des sondages préliminaires emporterait le vote ultime. N’importe quoi.

En attendant d’attendre LE peuple, que ferait-elle? Sa réponse: "défendre les intérêts du Québec", "occuper notre place", "réclamer nos pouvoirs", le tout à l’intérieur du Canada. C’est Mario Dumont qui sera flatté qu’on lui pique encore ses idées.

Pauvre Parti Québécois. Le voilà soumis à une bien drôle d’expérience de laboratoire, qui pourrait faire très mal. Si vous enlevez le MOYEN qu’est le référendum – sans même le remplacer par autre chose -, l’objectif saute avec. Vous auriez beau "parler du projet" d’aller à Paris, sans avion, sans moyen pour vous rendre, oubliez la tour Eiffel!

Enlevons donc la souveraineté pour encore au moins 10 ans, et regardons, comme dans un laboratoire, ce qui pourrait rester du PQ. Il faut dire qu’en présentant la défense du français comme une lubie de purs et durs attardés et en enterrant la social-démocratie sous le déficit zéro, Lucien Bouchard avait déjà ouvert le corps pour lui retirer un poumon et un rein.

Aujourd’hui, c’est comme si Pauline Marois lui retirait le coeur – son option – puis voudrait recoudre la plaie avec quelques fils empruntés au docteur Mario tout en s’attendant à ce que le patient se lève, sourit et marche jusqu’au pouvoir. Comme disent les Anglais: "The operation worked but the patient died."

POINT DE RUPTURE

Pourtant, le PQ sans souveraineté – ce à quoi revient la jasette sans le moyen -, c’est comme St-Hubert sans le poulet, McDonald sans le Big Mac, Jean Coutu sans amis. Ça ne marcherait pas. La clientèle irait voir ailleurs.

Vous direz que, de toute façon, chaque chef du PQ depuis 1996 avait déjà trouvé sa propre formule pour balayer la souveraineté sous le tapis. Ou, en d’autres mots, que Pauline Marois met seulement fin à 11 ans de fausse représentation au sommet de ce parti, alors que le pouvoir en était déjà devenu l’unique objet de désir. L’argument se défend.

Mais ce ne sera pas sans conséquence. En énonçant aussi clairement que son seul objectif est de gouverner pour gouverner, quitte à améliorer le fédéralisme, le PQ perd sa substantifique moelle. Il y a point de rupture.

René Lévesque et Pierre-Marc Johnson l’ont fait en 1985 et ont provoqué une immense démobilisation. Déjà que d’être resté inactif sur ce front depuis 11 ans a coûté au PQ une baisse continue de ses appuis traditionnels, le message de Pauline risque maintenant de faire fuir jusqu’aux inconditionnels qui votaient encore PQ par pur espoir de voir un autre chef replacer un jour la souveraineté au coeur de son action politique. Pour eux, l’espoir était que Pauline sauve au moins les meubles, pas qu’elle vende la maison.

Il y a d’autant plus un point de rupture qu’en 2007, contrairement à 1985, il n’y a pas de leaders souverainistes forts qui attendent à l’extérieur du PQ pour le réinvestir. On sent aussi dans ses hautes sphères quelque chose de fatigué, d’usé, de résigné vis-à-vis de la souveraineté.

On veut bien en parler, la garder comme "branding", mais ça se voit depuis 1996, bien avant Pauline, que la gouvernance a pris toute la place. Tenter de RÉALISER la souveraineté, avec son travail herculéen de préparation, ses conflits et ses risques, semble trop lourd à porter.

Jaser du pays? Oui, bien sûr. Lire les sondages comme on consulte son horoscope. But of course. Mais exit, officiellement, le moyen de le faire. La boucle post-référendaire semble bouclée. Et c’est plutôt une alliance éventuelle avec l’ADQ pour un Québec plus autonome qui se dessine à l’horizon.

Certains ont appelé la position de madame Marois de la franchise. D’autres appelleraient ça de l’euthanasie passive.