Je ne suis pas une experte en questions environnementales, mais je sais quand on me ment. Et je sais quand le BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement) cesse de faire son boulot pour se transformer en un vulgaire rubber stamp.
C’est ce qui s’est passé lorsqu’il a approuvé le projet de terminal méthanier Rabaska qu’un consortium formé de Gaz Métro, Gaz de France et Enbridge veut construire à Lévis, tout près de Beaumont et de l’île d’Orléans, un des joyaux du Québec. Voilà ce qui arrive lorsque la nomination du président du BAPE est de nature partisane plutôt que d’être du ressort de l’Assemblée nationale.
Mais comme pour le Suroît, le gouvernement a une banane dans l’oreille. Depuis l’élection, nos politiciens ont beau se dire maintenant obsédés par l’ÉCOUTE de la population, ils semblent toujours ne rien ENTENDRE. Libéraux et adéquistes penchent pour Rabaska, mais qu’en pense le PQ? André Boisclair y était plutôt favorable – ce qui lui avait valu une volée de bois vert bien méritée de militants péquistes de cette région. Reste à voir à quelle enseigne logera Pauline Marois.
Je ne referai pas le débat ici, mais j’en rappelle les éléments essentiels: Rabaska serait polluant, inutile pour les besoins des Québécois, visant dans les faits à satisfaire la boulimie énergétique des Américains, risqué pour la population nombreuse ambiante et pour le fleuve lui-même de par les dangers de fuite ou d’attentat.
À l’heure où, de toute façon, nous sommes censés conserver l’énergie, le Québec regorge déjà d’hydroélectricité, mise sur l’éolien et aura un port méthanier à Gros-Cacouna.
On le voit, l’enjeu de Rabaska n’est pas que local, il est pan-québécois. On peut donc s’attendre à ce que l’opposition et la mobilisation le soient aussi. On le sait, le seul gagnant, si Rabaska se faisait, serait le consortium lui-même, lequel empocherait les profits à coups de centaines de millions de dollars.
Quoique le conseil des ministres ne se soit pas encore prononcé, on soupçonne fortement que le gouvernement Charest veut l’approuver – le rubber stamp du président domestiqué du BAPE le confirme, ainsi que le fait que le chef de cabinet du PM, Stéphane Bertrand, soit lui-même un ancien vice-président de Gaz Métro.
Un autre indice: on soupçonne aussi que la tête de l’ancien ministre de l’Environnement, Thomas Mulcair, serait tombée en 2006 non pour son opposition à la privatisation du Mont-Orford, mais à cause du conflit ouvert entre le bureau du premier ministre et lui sur Rabaska.
Ce n’est donc pas une coïncidence si Mulcair, aujourd’hui candidat néo-démocrate dans le comté fédéral d’Outremont, se fait un point d’honneur de se joindre au mouvement croissant d’opposition à Rabaska. Et on n’a pas fini de l’entendre…
RÉPUBLIQUE-DE-BANANISATION
On ne saurait s’y tromper: les intérêts et les enjeux financiers pour le consortium sont énormes. Mais surtout, les lobbys d’affaires jouissent d’un formidable pouvoir d’influence auprès des gouvernements. Déjà que les lobbys d’affaires ont, en tout temps, l’oreille des premiers ministres, qu’ils soient libéraux ou péquistes, alors que les lobbys, disons, moins riches sont placés en attente perpétuelle d’un retour d’appel, imaginons ce que ça peut être lorsque le chef de cabinet du PM vient lui-même d’une des trois compagnies qui poussent pour Rabaska.
Quant au conseil municipal de Lévis, il semble s’être laissé chanter la pomme par le consortium, mais il doit sûrement savoir que la population y est dans les faits opposée. Et on ne parle pas ici du syndrome du "pas dans MA cour", mais d’une position émanant du "pas dans NOTRE fleuve".
C’est ici que la banane dans l’oreille se métamorphose, transformant nos gouvernants en gérants de république de bananes. C’est tout de même inouï que des États américains aient refusé la construction d’autres terminaux méthaniers, mais seraient bien contents que des provinces canadiennes très avenantes prennent tous les risques sur leur propre territoire pour mieux alimenter leur propre marché.
Inouï aussi que tel dans une république de bananes, nos gouvernants voient la perception de taxes et le bonheur de certains amis du régime bien repus comme étant plus importants que le patrimoine, la sécurité et l’environnement des Québécois.
AUTO-PELURE-DE-BANANISATION
Mais peut-être que la simple realpolitik finira par triompher. Comme pour le Suroît, le gouvernement Charest, minoritaire et dirigé par un chef qui tient par un fil, semble être encore en train de s’auto-pelure-de-bananiser avec Rabaska.
Il est à espérer que l’été portera meilleur conseil aux ministres et députés libéraux avant qu’ils ne donnent leur O.K. à Rabaska cet automne – incluant la ministre de l’Environnement qui s’est empressée de prendre ses vacances plutôt que de répondre aux questions, mais non sans faire une chouette apparition au premier gala du Festival Juste pour rire…