Des politiciens fédéraux se bousculent pour demander aux Québécois de bien distinguer les soldats qui vont en Afghanistan de la mission elle-même. On doit respecter et appuyer les soldats, disent-ils, même si l’on s’oppose à la mission.
Ce message a l’air de rien comme ça, mais il est insidieux. Le glissement du respect au soutien se fait tout seul. Comme si respecter et appuyer voulaient dire la même chose. C’est à se demander si ceux qui disent de telles choses savent qu’ils font de la propagande?
Car à moins d’être resté collé sur son barbecue depuis des semaines, impossible d’avoir raté la campagne massive de propagande du gouvernement de Stephen Harper au Québec pour "vendre" la mission canadienne en Afghanistan – là où moins de 30 % des électeurs l’approuvent.
Ce qui frappe le plus, c’est que ce sont les soldats eux-mêmes qu’on a placés au centre de cette opération de marketing politique. Et c’est parce qu’Ottawa les "instrumentalise" qu’on ne peut PAS scinder la mission et les soldats, non comme individus, mais comme groupe. On se sert d’eux pour tenter de vendre une mission impopulaire. Le tout avec des objectifs politiques clairs: aider à la réélection des conservateurs en faisant bouger l’opinion publique ici.
Des soldats partout
Et ce qu’on en aura vu des soldats! Ils ont paradé dans les rues de Québec, assisté à une partie des Alouettes, donné des entrevues, etc. Puis il y a eu le départ des 200 premiers soldats du mythique 22e régiment, de Valcartier, lesquels seront suivis de 2 300 autres.
Habituellement, ce genre d’événement reste privé ou est couvert par des médias locaux. Cette fois-ci, tous les médias du pays avaient été conviés. Le résultat fut à l’avenant: une couverture coast to coast, avec larmes, couples tristes, enfants inquiets et parents appuyant la mission et se disant confiants que leur fils ou leur fille leur reviendrait un jour.
Sans manquer de respect à ces soldats ou leurs familles, il reste qu’aucun analyste politique sérieux ne peut ignorer le choix délibéré du gouvernement de médiatiser à outrance cet événement en laissant les soldats et leurs familles vendre la mission.
Mais le Québec s’annonce un terrain très difficile pour ce type de vente sous pression. Dans le Globe and Mail, le chef de l’armée, Rick Hillier, le reconnaissait de manière plutôt condescendante.
Il disait qu’il y avait ici "un plus grand besoin d’éducation", qu’il fallait "aider" les Québécois à "mieux comprendre", ce qui arriverait lorsque les soldats en parleront à "leurs amis, leurs voisins et aux groupes communautaires"! Traduction: les Québécois sont opposés à la mission parce qu’ils ne comprennent PAS.
On se dit aussi, à Ottawa et dans les médias du ROC, que les Québécois sont des pacifistes primaires, incapables de distinguer les bonnes des mauvaises guerres. Traduction: ils ne comprennent PAS la vraie nature de la guerre.
Et de nous resservir les vieux clichés sur les crises de la conscription des Première et Seconde Guerres mondiales! Traduction: les Québécois n’aiment pas se battre pour la liberté. Sont un peu peureux, vous savez…
Voilà bien le petit fond de mépris de certaines élites du ROC et, surtout, une négation de la contribution importante des "Canadiens français" aux deux guerres mondiales. Mais combattre les nazis était une cause pour laquelle donner sa vie avait un sens.
À l’opposé, si tant de Québécois rejettent la mission en Afghanistan, c’est peut-être qu’ils ont de bonnes raisons. Depuis le 11 septembre 2001, ni la mission de l’OTAN dans ce pays ni l’invasion de l’Irak n’ont réduit la menace terroriste. Au contraire, elles nourrissent la bête.
L’Occident est moins en sécurité en 2007 qu’en 2001. Le nombre d’attentats a augmenté, de nouveaux terroristes islamistes, nés dans des pays européens, sont apparus. Le ressentiment anti-Américain et, maintenant, anti-occidental ne cesse d’augmenter. C’est un cercle vicieux à l’intérieur d’un cercle vicieux. Où sont les intérêts du Canada dans tout cela?
Objectif: Ontario
Mais Harper n’est pas fou. Il met le paquet ici, mais sans se faire trop d’illusions. Ce dont on ne parle pas, c’est l’Ontario. Si le Québec reste entêté, c’est là que sera la VRAIE clé de sa réélection.
Et pour ce qui est de l’Afghanistan, il y a de meilleures chances. C’est que la propagande y est assaisonnée d’une bonne dose de patriotisme canadien. Ce qui peut moins se faire au Québec.
Un exemple: quand on rapatrie les soldats morts à Trenton, ils font le trajet en convoi escorté jusqu’à Toronto pour l’autopsie. Au long de la 401, des gens ordinaires, des camions de pompiers et des autos de police s’amassent sur certains viaducs – sûrement plus solides que les nôtres! – pour saluer les convois et arborer des drapeaux canadiens.
On n’imagine pas une telle scène au Québec. Mais ce sont là des gestes de patriotisme qu’on voit en Ontario. Ils aident à solidifier l’appui à la mission et peut-être, Harper l’espère, à son gouvernement.
Mais les prochains mois s’annoncent durs. Les méthodes des Talibans se raffinent, ils risquent de tuer de plus en plus de soldats canadiens mal équipés, dont maintenant des Québécois.