Bon. Je sais que ça va sonner comme une pub, mais je n’y peux rien. Quand j’aime, j’aime. Et j’ai beaucoup, beaucoup aimé Théâtre Extrême.
Même si l’auteur de cette pièce jouissive sur la politique s’appelle bien Jean-Guy Legault, nous ne sommes malheureusement pas de la même famille – donc pas de conflit d’intérêts ici. Je dis malheureusement, parce que si nous l’étions, je lui dirais: "Bravo petit frère ou petit cousin, méchant beau coup! Puis, c’est pas grave si je suis un peu jalouse de ne pas l’avoir écrite moi-même!"
Maintenant, l’histoire. La pièce met en scène une course au leadership fictive dans un parti politique québécois fictif, le PPQ (le Parti populaire du Québec). Huit candidats, dont quatre femmes. Et ça, c’est "fictif", pas à peu près…
Chaque personnage est une combinaison de certains politiciens – et politiciennes – connus. Et d’une touche de Pauline par ici, un soupçon de Boisclair par là, un parfum de Belinda Stronach, un bon bout de pseudo grand conseiller politique obnubilé par sa très grande admiration pour lui-même, etc.
La course a beau être fictive, Jean-Guy Legault leur met en bouche des analyses savoureuses, tout aussi pertinentes que bien des éditoriaux de grands quotidiens, mais sans le cynisme de bon aloi.
Je ne veux pas trop vendre la mèche – les bonnes "lignes" sont trop nombreuses, et l’effet de surprise y est aussi pour quelque chose. Je vous donnerai seulement deux de mes préférées.
Une candidate au français torturé et immensément comique justifie la non tenue des promesses électorales en blâmant le budget du gouvernement précédent – un grand et pénible classique dans la VRAIE politique. "On sait bien que c’est toujours la faute de "la budgette de la gouvernementerie précédentaire. Parce que tout le monde sait que l’argent et la budgette, c’est deux choses bien différentes"… No kidding…
Reflétant aussi à merveille l’air du temps par ici, tous partis confondus, un seul candidat ose prononcer le mot "souveraineté", pour ajouter tout aussi rapidement: "O.K., on n’en parle pas!"
Et puis, il y a une certaine intelligence des choses et des émotions. L’auteur nous montre aussi la face cachée de la politique, celle de la solitude, des sentiments refoulés, de l’impression de ne pas servir à grand-chose par les temps qui courent.
ON A VOTÉ POUR ÇA
Dans son texte de présentation, Jean-Guy Legault explique pourquoi il en a fait une pièce "interactive". Le gentil public vote pour éliminer les candidats, un par un, jusqu’au gagnant ou gagnante ultime. (Ah, si seulement il y avait eu un auditoire à la course du PQ, plutôt que des votes sans visage par téléphone, Boisclair serait sûrement retourné à Toronto depuis longtemps.)
"Ce processus d’élimination a deux buts précis, dit Legault. Le premier étant de mettre en évidence les conséquences directes de la démocratie. C’est-à-dire de devoir vivre avec les choix d’autrui. On a une voix, mais concrètement, on subit la voix des autres. Deuxièmement, on ne vote pas "pour" un comédien-candidat, mais bien "contre" un comédien-candidat. C’est un vote cruel qui rend un vote moins anodin et qui responsabilise le spectateur. […] Ici, c’est ce que vous obtiendrez… le moins pire."
Lorsqu’on regarde la brochette actuelle, qu’elle soit fédérale ou provinciale, l’observation met le doigt sur un gros bobo. Le "j’ai pas voté pour ça" est bien futile dans le fond. Car tout vote dépend en effet du vote de l’autre. Ce qu’on obtient comme résultat, collectivement, on a vraiment voté pour ça. Jean-Guy Legault a bien raison. Ça s’appelle la démocratie. Et parfois, faut se boucher le nez pour quelques années, ou quelques décennies, et attendre que le résultat soit plus inspirant. Enfin, du moins, l’espérer en gardant les yeux bien ouverts.
Pas qu’il n’y ait pas de politiciens honnêtes et intègres de nos jours. Il y en a plus qu’on le pense. Mais on a comme une impression de manufacturisation de la politique. On manufacture les programmes en série, de plus en plus interchangeables, et on se cherche de bons vendeurs pour un "produit" qui se ressemble d’un parti à l’autre.
La pièce de Legault parle aussi de ça, du contenant qui domine le contenu, des conseillers "ti-Joe connaissant", des candidats perdus dans l’espace, des grands parleurs et des p’tits faiseurs. Facile aussi de se faire prendre par le "jeu" de la politique. Et le jeu finit par devenir le but, et non un simple outil.
Avec l’objectif final et absolu: la victoire pour la victoire. Gagner la course, devenir premier ministre un jour… Ah… Le Bunker. Bunker, le cirque…
Et pour faire quoi? Ça, évidemment, ça dépend de plus en plus "de la budgette de la gouvernementerie précédentaire"… et de la photocopie du programme des autres qui tient lieu de vision pour le nouveau gouvernement du jour.
Au Théâtre d’Aujourd’hui, à Montréal, jusqu’au 18 août. Avec Marie-Lou Bujold, Delphine Bienvenu, Vincent Côté, Jean-Marc Dalphond, Nancy Gauthier, Lise Martin, Thomas Perreault, Raphaël Roussel, Antoine Vézina et Mariflore Verronneau.