Cette semaine, le sommet de Montebello sur le Partenariat sur la sécurité et la prospérité entre les États-Unis, le Canada et le Mexique mettait en lumière l’extrême déficit démocratique dont souffre tout ce processus.
On ne saura jamais ce qui se sera dit à huis clos entre Bush, Harper, Calderón et leur brochette d’hommes d’affaires invités. Mais ne le prenez pas personnel. Les parlementaires ne le sauront pas non plus. Que la société civile et les élus soient traités comme des spectateurs face à une entente appelée à modifier des aspects importants de la société canadienne en dit long sur l’idée que se fait Stephen Harper de la démocratie.
Au château de Montebello, on aura fait beaucoup de blabla sur la "libre circulation des biens, des services et des personnes", mais on aura freiné la libre circulation de l’information.
Harper: 1. Parlement et citoyens: 0.
Pendant ce temps, voilà venir un autre bel exemple d’absence de débat public. Les 23 et 24 août, Jean Charest et le ministre fédéral des Affaires indiennes se rendent à Kuujjuaq pour célébrer la future ratification d’une entente historique entre Québec, Ottawa et les dirigeants inuits.
Cette entente jettera les bases d’un gouvernement inuit régional – un précédent au Canada – avec une assemblée élue, un conseil exécutif, un chef de gouvernement et des pouvoirs éventuellement étendus en matière de santé, d’éducation et de gouvernance générale.
Son nom: le "gouvernement régional du Nunavik". Le premier ministre Charest dit pourtant que ce ne sera pas un nouvel ordre de gouvernement, qu’il sera soumis aux lois de l’Assemblée nationale et de la Chambre des communes, que ce sera comme une grosse municipalité. Mais il est prévu que dans une deuxième phase de négociation, on parlera de pouvoirs de taxation, de perception de redevances majeures sur les ressources naturelles, etc.
UN TIERS DU TERRITOIRE DU QUÉBEC
Avec une assemblée élue munie de vrais pouvoirs, ça ressemblera drôlement à un nouveau palier de gouvernement. On dit que le Nunavik serait d’ailleurs représenté sur les cartes officielles du Canada et du Québec.
Cette entente couvrira le tiers du territoire du Québec au nord du 55e parallèle. Sûrement la plus grosse municipalité du monde… Le tiers du territoire pour une population de 10 000 personnes.
Et pourtant, il n’y aura JAMAIS eu de débat public portant exclusivement sur le Nunavik. Une commission de l’Assemblée nationale a déjà examiné l’impact de la Paix des Braves. Mais elle ne touchait que les Cris et n’avait pas la portée que pourrait avoir la création d’un nouveau gouvernement sur le tiers du territoire.
S’il est vrai que les 10 000 Inuits ont des besoins sociaux et économiques criants et qu’une plus grande autonomie est plus que souhaitable, cette entente sur le Nunavik semble aller plus loin. Parce qu’elle modifiera la gouvernance d’un territoire plus grand que la plupart des pays européens, pourquoi songer à la ratifier sans débat public au Québec?
Pendant qu’on se regardera à satiété le nombril identitaire à la Commission Bouchard-Taylor, qui débattra de l’entente sur le Nunavik? Gros problème.
D’autant plus que selon le Globe and Mail, il manquerait un élément crucial à cette entente: avec le fédéral qui conserverait tous ses droits au Nunavik et l’élection d’un nouveau gouvernement inuit couvrant une immense superficie et ses ressources naturelles, qu’arriverait-il à ce territoire si le Québec venait à tenter de se séparer? Mystère et boule de gomme.
Le conseiller juridique des Inuits a déclaré qu’avec cette entente, "si le Québec voulait se séparer, je ne sais pas comment ça fonctionnerait". Ah, bon? C’est gentil de le dire.
Évidemment, parler ces temps-ci d’un référendum gagné est TRÈS hypothétique. Mais tout premier ministre se doit de ne poser aucun geste qui pourrait un jour mettre en danger l’intégrité territoriale du Québec. Et elle pourrait être mise en danger s’il s’avérait, comme le rapporte le Globe and Mail, que l’entente sur le Nunavik est muette sur le sujet.
En fait, on peut avancer l’hypothèse qu’avec le fédéral toujours très présent et une assemblée inuite élue et couvrant le tiers du territoire, ce gouvernement aurait une légitimité sur la scène internationale suffisante pour remettre en question l’intégrité territoriale du Québec.
Ceux qui ont une bonne mémoire se souviendront peut-être de Ted Moses, grand chef des Cris qui, en pleine commission parlementaire en 1999 sur un autre sujet, avait qualifié le peuple québécois de "fictif" ne pouvant jamais prétendre à cette intégrité après un Oui.
Fait intéressant: dans les courriels envoyés au Globe and Mail par des lecteurs canadiens-anglais en réaction à l’article de Bill Curry du 13 août dévoilant les grandes lignes de cette entente, on n’en revenait pas qu’une telle entente se fasse sans débat public.
Quelques-uns se félicitaient de voir apparaître un bel obstacle à la sécession possible du Québec, mais la plupart se questionnaient sur le manque de transparence du processus et les effets possibles d’un tel précédent dans d’autres provinces.