Voix publique

Le pyromane et le pompier

Oui, l’ego de Brian Mulroney est gargantuesque et il a son côté "petit Napoléon". Mais dans les hautes sphères du pouvoir, ça manque rarement de petits Napoléons…

Les 1 339 pages de ses mémoires sont à la hauteur de son ego. À force de tenir la lourde brique, je ne vous mens pas, je m’en suis donné un point dans le dos! Mais si on va au-delà du personnage, le fond de l’histoire vaut le détour.

Avec l’accord du lac Meech, l’homme aura eu le mérite de tenter de réparer le gâchis laissé par Trudeau en 1982 avec le rapatriement de la Constitution sans le Québec. Entre le pyromane et le pompier, on préfère le second.

Sa grande erreur fut de croire que ça pouvait marcher. La mort de l’accord était inscrite dans son ADN. Le modeste statut de "société distincte" pour le Québec ne passerait jamais dans le ROC – le Rest of Canada.

Brian voulait réconcilier francophones et anglophones en officialisant le tout dans la Constitution. Mission impossible. Il n’était pas question de coucher sur papier une telle reconnaissance.

Les paroles, par contre, ne coûtent rien. Stephen Harper parle volontiers de la "nation" québécoise, même à l’étranger, dans la mesure où cela n’a aucune portée concrète.

LA FAUTE A TRUDEAU ET BOUCHARD?

Qu’en est-il de l’obsession de M. Mulroney à blâmer Trudeau et Lucien Bouchard pour l’échec de Meech? Il est vrai que Trudeau s’est acharné contre Meech, mais il n’a fait que légitimer l’opinion dominante au Canada anglais. Pour le ROC, Meech ne constituait tout simplement pas un "accommodement raisonnable" à la différence québécoise!

Cette opinion publique fut déterminante. Trudeau aurait eu beau s’égosiller contre Meech jusqu’à s’en étouffer, sans cet appui, ses vociférations n’auraient eu aucun impact.

En fait, c’est le recours de Robert Bourassa à la clause dérogatoire qui avait galvanisé l’opposition du ROC. En décembre 1988, M. Bourassa avait pris les grands moyens pour protéger l’affichage en français d’un jugement de la Cour suprême.

C’est à ce moment qu’a fusé du ROC l’accusation ultime: le Québec était intolérant! On y disait: si le Québec "ose" faire cela aux Anglo-Québécois AVANT l’adoption de Meech, quelles horreurs fera-t-il à ses minorités lorsqu’il aura son statut de "société distincte"?

Et plus ça change, plus c’est pareil. Regardez bien aller les médias canadiens-anglais se servir des forums de la Commission Bouchard-Taylor pour dépeindre les Québécois comme de la graine d’intolérance.

L’ENFANT DE CHIENNE

Il faut aussi lire dans ces mémoires les échanges lors de la fameuse semaine de la dernière chance, en juin 1990, lorsque les premiers ministres se sont enfermés à Ottawa pour tenter de sauver l’accord moribond.

On y voit un Robert Bourassa exaspéré qui s’entête à insister sur le fait que la clause de la société distincte "n’a pas vraiment d’impact"… Mais on y voit surtout les blocages de Clyde Wells, premier ministre de Terre-Neuve, indécrottable trudeauiste et un des politiciens les plus détestables de l’histoire récente.

On y comprend mieux la hargne de Mulroney contre Wells et on se surprend qu’il n’ait pas intitulé cette section: "l’enfant de chienne". On voit aussi à quel point certains premiers ministres étaient conscients des conséquences d’un échec, voyant poindre le prochain référendum en réaction.

Quant à la démission de Bouchard avant l’échec de Meech, on comprend le sentiment personnel de trahison chez M. Mulroney, mais son effet fut nul. Meech avait été jugé par le ROC et le blocage de Wells n’était que le dernier clou dans le cercueil. Meech avait rendu l’âme bien avant que Lucien ne claque la porte.

Par contre, s’il existe un ancien premier ministre qui, sans amitié en jeu, aurait de VRAIES raisons d’en vouloir à M. Bouchard, c’est Jacques Parizeau. Et ce n’est pas un hasard si M. Parizeau a déjà avoué que s’il avait su ce qui se passerait après lui, il n’aurait jamais démissionné.

Il parlait surtout de la manière dont M. Bouchard, une fois premier ministre et au summum de sa popularité, avait mis en veilleuse l’option du PQ. À quand les mémoires de Monsieur?

Mais contrairement à la relation Mulroney-Bouchard, le différend Parizeau-Bouchard n’avait rien de personnel. Il était politique et idéologique.

En fait, les choix de Bouchard-le-premier-ministre ont eu un impact nettement plus négatif sur l’option du PQ qu’en avait eu sur le sort de Meech la démission fracassante de Bouchard-le-ministre-conservateur.

M. Mulroney peut toutefois se consoler. Dix-sept ans après l’échec de Meech, personne n’ose parler de référendum. Quant à Lucien, réputé proche de Mario Dumont sur le plan des idées, on sent qu’un gouvernement adéquiste ne lui déplairait pas. Ni à Brian, d’ailleurs.

Comme quoi, Brian et Lucien se rejoignent aujourd’hui au moins là-dessus…