J'adore mon métier de journaliste politique. Vraiment. Sauf pour son petit côté "commentateur sportif" – cette tendance à voir la politique comme une "game" qu'on dissèque en termes de jeu et de stratégies, sans toujours en analyser les motivations et les conséquences.
Prenons le cas de Stephen Harper et de son fameux ultimatum: ou les libéraux votent contre son discours du trône et on part en élection, ou ils votent pour et Harper obtiendra ce qu'il appelle un "mandat clair" pour gouverner.
Pour mieux piéger Stéphane Dion, Harper a sorti un gros lapin de son chapeau. Même si son discours est adopté, chaque vote subséquent sur un projet de loi majeur sera transformé en vote de confiance. Bref, si les libéraux OSENT voter contre une loi harpérienne, il y aura élection. Et vlan, dans les dents de Stéphane!
Dans les médias, on ne se pouvait plus d'admirer le "grand stratège" à l'oeuvre. "Bon coup!", "Harper contrôle le jeu", "les libéraux sont coincés", "Harper vient de rendre l'élection inévitable". Le sang va couler dans l'arène électorale, Stéphane va souffrir, et on aime ça!
Bon. Mais au-delà des "oh!" et des "ah!", le problème est que la "méthode" Harper a ceci de particulier qu'elle est anti-démocratique. Même en termes "sportifs" – pour ceux qui les préfèrent -, ce que Harper fait est l'équivalent au hockey de frapper un joueur dans le dos avec son bâton – un des pires coups bas possibles. Pas un arbitre ne laisserait passer ça. Pas un commentateur sportif n'admirerait un tel geste. Sauf peut-être Don Cherry, si c'est un joueur québécois qui reçoit le coup en question!
Mais en politique, allez savoir pourquoi, les coups les plus bas sont souvent vus comme de bons coups.
On connaissait déjà le côté "control freak" de Harper avec les médias. Mais ce qu'il propose maintenant est de prendre le Parlement en otage. Harper veut le beurre et l'argent du beurre: soit une élection qu'il n'a pas le courage de déclencher, soit une opposition castrée, réduite à voter pour ses projets de loi pour ne pas aller en élection.
MON PARLEMENT A MOI
C'est quand même inouï qu'un premier ministre décide de jouer avec la démocratie parlementaire comme si c'était sa petite chose à lui, et qu'on trouve ça brillant comme stratégie. Imaginez qu'un matin, George Bush décide qu'il change la manière dont fonctionne le Congrès. Vous croyez que le New York Times ou le Washington Post trouveraient ça génial? Non.
C'est pourtant ce que fait Harper. Il veut modifier unilatéralement l'usage du vote de confiance qui, normalement, est réservé au budget, au discours du trône, à une motion de censure de l'opposition ou un projet de loi ou une motion que le PM identifie EXCEPTIONNELLEMENT comme un vote de confiance. Ce n'est pas un fusil qu'on place à répétition sur la tempe de l'opposition pour la museler. Dans un contexte minoritaire, le vote de confiance est l'arme nucléaire qui fait tomber le gouvernement. Mais ce n'est pas un outil pour forcer l'opposition à "rubber stamper" toutes ses lois comme s'il était majoritaire.
Le simple fait que Harper ait brandi cette menace en dit long sur ce qu'il pense du Parlement et des électeurs qui lui ont refusé sa majorité.
LE CLAN CHRETIEN S'EN MELE
Pris par son engagement à tenir des élections à date fixe en octobre 2009, Harper s'amuse à pousser Dion dans les câbles. Certains y voient la marque d'un grand et brillant stratège face à des chefs d'opposition dont il joue comme des violons.
Mais qui a dit que les libéraux sont obligés d'aller se jeter en bas du pont en votant contre le discours du trône pour la simple raison que Stephen 1er leur a ordonné de le faire? Qui a dit que Dion ne pouvait pas laisser passer ce discours pour se donner un peu de temps? Et qui a dit que les libéraux ne pourraient pas ensuite boycotter la montagne de votes de confiance ou s'en servir eux-mêmes pour faire tomber le gouvernement à un meilleur moment pour eux ? À cynique, cynique et demi. Si le PM veut gouverner comme s'il était majoritaire, ce sera à lui de tenter de l'obtenir dans une élection. Seuls les électeurs peuvent lui donner un "mandat clair", pas l'opposition. Pour le moment, le PLC n'est pas obligé de se suicider sur commande.
Avant de quitter son lit d'hôpital, j'ai aussi l'impression que Jean Chrétien a sonné la fin de la récréation et a décidé de s'en mêler pour éviter l'iceberg.
Fallait voir son éminence grise, Eddie Goldenberg, sortir pour dire que jamais un gouvernement n'était tombé sur un discours du trône. Ou Céline Hervieux-Payette, pas pressée non plus d'aller en élection et rappelant à l'ordre le clan Ignatieff, soupçonné de magouiller contre Dion.
Mardi, Stéphane Dion est sorti de sa torpeur pour refuser de jouer le jeu de Harper. On verra ce qu'il fera au vote. Mais en attendant, au-delà de la "game" des uns et des autres, les penchants autoritaires du PM mériteraient plus d'attention et d'analyse. Surtout lorsqu'il traite le Parlement comme son joujou personnel.
100% d’accord! Plusieurs chroniqueurs politiques «trippent» tellement sur la joute et la stratégie politiques qu’ils en oublient souvent d’importants enjeux démocratiques. C’est déplorable. Merci pour ce texte.
La question qui me turlupine le plus dans tout ce cirque est la suivante: de quoi l’opposition, Libéral, Bloc ou NPD, a-t-elle si peur? Bien sûr, personne ne veut entendre parler d’élection en ce moment. Voilà bien une fort astucieuse excuse pour laisser en place un gouvernement qui semble fort déterminé à mettre en place toutes les lois qui lui plaisent, faisant fi de toute forme d’opposition, utilisant la menace desdites élections pour passer le rouleau compresseur sur Kyoto, l’Afghanistan et Dieu sait quoi encore. Mais il n’y a pas vraiment de surprise là-dedans. Toutes ces lois, ces projets, sont en parfait accord avec l’idéologie de plus en plus à droite du parti au pouvoir. Alors pourquoi l’opposition, quel que soit le parti, ne fait-elle rien? De quoi ont-ils si peur? Ne serait-ce qu’au nom des principes plus centristes de son parti, Stéphane Dion devrait avoir le courage de refuser ce virage à droite du gouvernement Harper, quitte à se sacrifier sur l’autel électoral. Mais il ne faut pas être dupe, il n’agira pas ainsi de sitôt. Confronter à une idéologie qui s’affirme avec de plus en plus d’assurance, les libéraux semblent refuser de constater la vacuité idéologique qui domine ce parti depuis trop longtemps. À force de gouverner en suivant le vent, les libéraux ne savent plus quoi faire quand le vent leur souffle au visage. Et voilà bien ce qui me semble le plus anti-démocratique dans tout ce cirque:qu’un parti puisse devenir si puissant en ayant comme seul objectif l’obtention et la rétention du pouvoir, c’est une chose. Mais que lorsque vient le moment de faire preuve de conviction et d’idéal, ce même parti s’écrase, sachant trop bien que de se tenir debout les mèneraient à l’élection et que, en ce moment, le pouvoir leur échaperaient. Et puisqu’il s’agit de leur seul motivation, ils ne feront rien pour arrêter le train conservateur. Voilà bien qui me semble encore plus anti-démocratique que la froide détermination de Harper et cie.