Voix publique

Pauline au pays des merveilles

Dans la mesure où le passé est souvent garant de l’avenir, on est en droit de s’interroger sur la passion soudaine de Pauline Marois pour les questions identitaire et linguistique.

Va pour une constitution provinciale. L’idée flotte depuis longtemps. Mais pourquoi maintenant? Bien sûr, parce que l’ADQ a remis l’idée à la mode. Ce que j’appelais ce printemps l’"adéquisation" du Québec poursuit son oeuvre. La tactique est évidente: gruger des votes à l’ADQ et aider Mme Marois à consolider son autorité sur son parti. À première vue, c’est de bonne guerre.

L’os est plutôt dans le projet sur l’identité et la citoyenneté. En fait, il ne nécessite aucunement la création d’une nouvelle citoyenneté puisqu’il se résume surtout à un renforcement d’une simple loi, la loi 101, pour mieux franciser les nouveaux arrivants.

Le véritable phénomène ici est le retour du PQ à la question linguistique, alors qu’il y a onze ans, il l’avait lui-même jetée aux poubelles comme un vulgaire sac de linge sale. Petit problème: la chef actuelle en était, d’où l’ironie de la voir découvrir les vertus d’une loi 101 plus musclée.

Les âmes charitables diront qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. C’est vrai. Mais celles qui ont aussi un brin de mémoire se souviennent que c’est le gouvernement Bouchard qui, dès 1996, transformait la question linguistique en un véritable tabou.

LE CONGRÈS DU "MIROIR"

Appuyé par plusieurs commentateurs, ce gouvernement, dont faisait partie Mme Marois et certains de ses conseillers, menait aussi la chasse à ce qu’il appelait les "ayatollahs", les "radicaux" et les "vieux démons" – ceux qui osaient dire que la francisation commençait à piétiner et s’inquiétaient d’une loi 101 affaiblie par les tribunaux. L’époque a été douloureuse pour ceux qui différaient d’opinion avec Saint-Lucien.

Au congrès du PQ en novembre 1996, face à des militants s’apprêtant quand même à voter le renforcement de la loi 101, Lucien Bouchard s’exclamait qu’il ne pourrait jamais se "regarder dans le miroir" si cela arrivait! Cette petite phrase a défini la politique linguistique du gouvernement: NE RIEN FAIRE. Le signal aux nouveaux arrivants et aux lobbys anglophones était puissant: même le PQ avait peur de la loi 101, voyant son renforcement comme une atteinte aux droits fondamentaux!

Pour se justifier, le gouvernement a accouché d’une thèse non fondée selon laquelle le Québec avait atteint un "équilibre linguistique" auquel il ne fallait surtout pas toucher. Montréal et l’Outaouais vivent aujourd’hui les effets d’un tel jovialisme linguistique.

On se scandalise, avec raison, de voir le gouvernement Charest couper dans le budget du ministère de l’Immigration. Mais si on se rend compte aujourd’hui de la nécessité de renforcer la loi 101 en milieux de travail et de mieux assurer la francisation, c’est que dix ans de laisser-faire ont fait mal.

LE BEURRE ET L’ARGENT DU BEURRE

André Pratte pense qu’une citoyenneté québécoise au sein du Canada paverait la voie à la souveraineté. Mais il y a une possibilité moins rose pour les péquistes : qu’elle en devienne le substitut.

Dans ses États généraux sur la langue, Gérald Larose, nommé par Bouchard, l’avait proposée. Dans Sortie de secours, Jean-François Lisée, qui a contribué au projet de Mme Marois, l’assortissait d’un référendum portant sur l’autonomie du Québec au sein du Canada. En 2004, l’ADQ la souhaitait aussi pour un Québec autonome dans le Canada. Dans ces trois cas, la citoyenneté interne était un substitut à la souveraineté.

Aujourd’hui, en parlant de citoyenneté interne tout en disant opter pour la souveraineté, Mme Marois fait croire aux Québécois qu’ils peuvent avoir le beurre et l’argent du beurre, soit demeurer dans une province tout en ayant les attributs d’un pays. C’est Pauline au pays des merveilles. En réalité, toute citoyenneté québécoise serait soumise à la Charte canadienne des droits.

Quant aux exemples de citoyennetés internes pour les 27 000 habitants de l’archipel d’Aland en Finlande, les 230 000 de la Nouvelle-Calédonie de concert avec la France, les États américains ou les 6000 Nisga’a du Canada, ils ne peuvent servir d’argument pour le PQ.

Elles ont été créées pour de petites unités de population qui n’ont aucune ambition de faire sécession du pays dont elles font partie (la France et les États-Unis étant même "indivisibles" !). Elles sont, si l’on peut dire, des gestes d’accommodement raisonnable.

D’où l’incongruité d’un parti souverainiste proposant une citoyenneté INTERNE au Canada plutôt que de mettre toutes ses énergies à convaincre les Québécois de s’en donner une vraie, pleine et entière, pas celle d’une poupée russe imbriquée dans la canadienne.

Mme Marois croit sûrement dur comme fer qu’une citoyenneté interne donnerait plus le goût aux Québécois d’être indépendants, que l’appétit viendrait en mangeant, etc. Le problème est que la plupart des exemples de citoyenneté interne en font la démonstration contraire. Dans la vraie vie, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.