Depuis un an, les trois chefs de parti se comportent d’une bien drôle de manière sur la question de l’identité. Mario Dumont a lancé la balle l’hiver dernier sans proposer la moindre solution. Jean Charest, refusant de prendre position, l’a refilée illico à la Commission Bouchard-Taylor. Puis, Pauline Marois a présenté un projet de loi qui, s’il était adopté un jour tel quel, pourrait limiter certains droits démocratiques fondamentaux.
Il faut dire que les médias d’ici n’ont rien aidé en braquant constamment leurs projecteurs sur le conseiller municipal d’Hérouxville. Quant aux médias anglophones, honte aux commentateurs s’en servant pour dépeindre les Québécois comme de dangereux nazis qui s’ignorent. Mais what else is new?
Face à une telle cacophonie, une chatte y perdrait ses petits. L’identité est pourtant une question délicate. Mais force est de constater qu’elle est devenue de la vulgaire chair à canon dans une lutte préélectorale particulièrement serrée. Les chefs et leurs conseillers, yeux rivés sur les sondages, surveillent pour voir si leur dernière manigance aurait enfin fait grimper leurs appuis chez les francophones.
C’est rendu fou. L’identité occulte presque tout l’"agenda" politique du Québec. C’est à se demander s’il existe encore d’autres sujets de gouvernance! Mais prenez garde. Pendant que le spectacle de l’identité monopolise votre attention, vous risquez de vous en faire passer des petites vites sur d’autres questions…
LE PROJET DE LOI MAROIS
Mais puisque le projet de loi du PQ sur l’identité est au centre de tout, comme le désiraient les conseillers en marketing politique de Pauline Marois, eh bien, parlons-en.
Certains y voient à tort de la xénophobie. Ça ressemble plutôt à de la petite "stratégite" électoraliste, à un substitut à l’option du PQ et à un projet de loi déconnecté de la réalité. Car le Québec, qu’on aime ça ou non, aussi "nation" soit-il, demeure une province.
Surtout, le diable, comme on dit, est dans les détails. Dans ce cas-ci, il se trouve dans les modalités de la citoyenneté prévues par le projet de loi Marois. Si ce projet devenait loi, une fois qu’un immigrant résidant au Québec obtenait sa citoyenneté canadienne et tous les droits démocratiques qui s’ensuivent – droit de voter, de se présenter à une élection, etc. -, il aurait ensuite le choix de présenter une demande au ministre de la Justice pour obtenir sa citoyenneté québécoise.
S’il répondait aux critères prévus, dont avoir une connaissance appropriée du français, du Québec et des responsabilités et avantages conférés par cette citoyenneté ainsi que prêter serment de loyauté au peuple et à la constitution du Québec, il obtiendrait sa carte de citoyenneté. Cette citoyenneté québécoise lui donnerait le droit de se présenter à une élection, de financer un parti et d’adresser une pétition à l’Assemblée nationale.
Mais si cette personne choisissait plutôt, pour ses propres raisons, et ce serait son droit, de se "contenter" de sa citoyenneté canadienne sans demander la québécoise, elle se retrouverait dans une situation inacceptable. Elle aurait le droit de vote en vertu de sa citoyenneté canadienne, mais ne pourrait se présenter ici à une élection, financer un parti ou s’adresser à l’Assemblée nationale parce qu’elle n’aurait pas sa citoyenneté québécoise. Cette personne se verrait ainsi privée d’une part importante de ses droits démocratiques.
La semaine dernière, à l’émission de Christiane Charette, le député Pierre Curzi a confirmé que tel serait en effet le cas. S’il se trompe, il serait important que madame Marois en informe les Québécois.
LE VRAI PROBLEME
On voit donc que le problème ne réside pas en soi dans les critères exigés pour obtenir cette citoyenneté québécoise, dont une connaissance appropriée du français. Le VRAI problème est que tant et aussi longtemps que le Québec sera une province, il ne pourra, ni ne DEVRA priver un immigrant devenu citoyen canadien d’une partie de ses droits démocratiques sous prétexte qu’il ne voudrait pas prendre sa citoyenneté québécoise.
S’il devient souverain, le Québec, comme les autres pays, imposera alors ses critères de citoyenneté et personne n’en sera lésé. Mais tant qu’il est une province, on ne peut accepter l’imposition de droits démocratiques à géométrie variable pour certains futurs immigrants. Si on le faisait, ce serait pratiquer le contraire de l’intégration en excluant de la vie démocratique tout nouveau citoyen canadien résidant ici mais refusant la citoyenneté québécoise.
Si madame Marois tient à une meilleure intégration des futurs immigrants ainsi qu’au respect de leurs droits démocratiques, elle devrait accepter de retirer cette sous-section de son projet de loi. En conservant le reste, dont la promesse tout à fait pertinente de présenter des dispositions législatives pour assurer une meilleure francisation et intégration des immigrants, elle poserait un geste responsable. Ce qui l’aiderait sûrement à faire étudier son projet de loi par l’Assemblée nationale.
Si, par contre, elle s’entête dans la voie tracée par ses conseillers, on comprendra que le calcul électoral, comme chez les deux autres partis, aura pris le dessus sur le reste.