Loin de la commission Bouchard-Taylor et des protagonistes surmédiatisés du NOUS, se trouve une tout autre réalité. Une autre planète nommée Parc-Extension.
Parc-Extension n’est ni Hérouxville, ni le Plateau Mont-Royal, ni Outremont, ni Sillery. C’est un quartier pauvre et multiethnique du Nord-Ouest de Montréal – 75 pays d’origine, 30 langues maternelles et une tonne de religions. Ce quartier ne représente pas LA réalité immigrante au Québec. Il y en a plusieurs. Mais il est un de ses visages les plus troublants, oublié des grands décideurs, comme le sont souvent les divers visages de la pauvreté, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs.
Je connais Parc-Extension et je l’ai bien retrouvé dans le documentaire Un coin du ciel de Karina Goma. Ce quartier, c’est l’immigration à la dure, non pas l’arrivée cotonneuse en région ou dans des quartiers mieux nantis de la grande ville.
Parc-Extension, c’est souvent l’isolement social qui découle de la pauvreté et de la non-francisation de plusieurs. Car si Karina Goma nous montre la vie de ces gens avec respect et lucidité, elle le fait aussi – et ce fut son choix – sans analyse politique. Les images parlent néanmoins d’elles-mêmes.
On y voit ces femmes et ces hommes, arrivés depuis 10, 15 ou 20 ans, parlant bien sûr leur langue maternelle, baragouinant l’anglais, mais connaissant à peine quelques mots de français. Parfois plus isolées encore que leurs maris, restant à la maison ou piégées dans des jobines de manufacture où la langue de travail est l’anglais, combien de ces femmes n’apprendront jamais le français?
Ces gens vivent certes dans un quartier et une ville où il est toujours possible de fonctionner en anglais seulement. Mais l’isolement et la pauvreté y sont aussi pour quelque chose. Nos grands penseurs de l’intégration devraient visiter ce quartier plus souvent… Ils verraient que pour ces gens, qu’ils soient arrivés sous Robert Bourassa, Lucien Bouchard ou Jean Charest, les ressources n’ont pas été au rendez-vous.
COQUERELLES, SOURIS ET INTÉGRATION?
Sans verser dans le misérabilisme, il reste qu’il n’y a rien de joyeux à voir cette jeune mère immigrante garder sa dignité dans son appartement infesté de coquerelles et de souris jusque dans la couchette du bébé! Vous vous demanderez sûrement pourquoi on laisse des gens vivre dans de telles conditions à Montréal et des propriétaires exploiter des locataires aussi vulnérables? D’autant plus que la situation de cette jeune femme n’a rien d’exceptionnel dans des quartiers comme Parc-Extension. "Coquerelle" est d’ailleurs un des rares mots de français qu’elle connaît…
Mais vous vous direz peut-être aussi que l’"intégration" se passerait mieux dans des conditions de vie plus dignes. En fait, ces gens vivent dans une réalité qui n’a rien à voir avec ce NOUS que certains tentent désespérément de définir par opportunisme électoraliste.
Les gens de Parc-Extension viennent souvent de pays où ils étaient encore plus pauvres et où les libertés sont limitées. Donc, ils se plaignent peu ou pas. Mais la rareté des ressources pour les soutenir, c’est essentiellement l’échec de nos gouvernements qui, de toute façon, se tiennent de plus en plus loin de la pauvreté, point à la ligne, quelle que soit sa langue ou son origine.
ACCUEILLIR EN ANGLAIS
Mais l’échec, comme on le constate dans ce documentaire, c’est aussi ce réflexe de parler anglais avec ceux qui sont d’une autre origine. Comme dans tant d’institutions publiques, cette fois-ci, c’est au CLSC de Parc-Extension que des employés tendent à communiquer en anglais avec plusieurs de leurs clients immigrants.
Dans ce cas-ci, ce sont des travailleuses sociales, des bourreaux de travail, dévouées et admirables, qui le font. Elles le font avec les meilleures intentions du monde, probablement par souci de ne pas ajouter aux difficultés que vit déjà cette clientèle. Mais comment "accueillir" pleinement si on ne le fait pas aussi, lentement et gentiment, dans la langue de ladite société d’accueil?
Dans le cas de Parc-Extension, le véritable accommodement raisonnable commencerait par de meilleures conditions de vie et de salubrité – ce qui suppose l’ajout de ressources à la Régie du logement -, des cours de français gratuits et rapides, de l’aide pour se trouver un boulot en français, ainsi que l’abandon du réflexe d’accueillir en anglais. Cela n’a rien de grandiose. C’est moins controversé et flamboyant que la citoyenneté imaginaire du PQ, mais c’est du terre-à-terre, du concret
Lorsque la commission Bouchard-Taylor débarquera à Montréal, on verra à quel point sa réalité multiethnique est variée, remonte à très loin dans le temps, se déclinant aussi selon les quartiers et les classes sociales. La situation de Parc-Extension n’est évidemment pas celle de la cossue Ville Mont-Royal!
Cette réalité montréalaise n’est pas "supérieure" à celle des régions. Elle est tout simplement différente. Elle ne constitue pas LA réalité québécoise. Mais elle en est une partie importante. Parc-Extension fait aussi partie de ce NOUS montréalais, et donc québécois. Il faudrait peut-être s’en rendre compte.