Voix publique

Bonne année, Murielle!

Il y a des amis avec qui, on ne sait pourquoi, c'est à la vie, à la mort. Cette expression, j'en ai saisi tout le sens avec Murielle, ma grande amie d'enfance. Je pense beaucoup à elle au début de chaque nouvelle année.

Murielle, c'est celle qui m'a accompagnée lors de mes traitements de chimiothérapie en 1996. C'est celle qui m'a gâtée après ma chirurgie. C'est celle qui, à l'époque, avait réussi à me convaincre que j'étais encore pas mal cute, même avec le coco dégarni!

Au moment de mon diagnostic, Murielle était coiffeuse. Sans compter, elle s'est privée de ses revenus toutes les journées qu'elle venait prendre soin de moi. Les jours de chimio, elle restait avec moi à l'hôpital, jasait avec tout le monde, allait me chercher des gâteries au petit magasin et me faisait rire lorsque j'avais peur. Après chaque traitement, on allait souper au resto. J'étrennais mon dernier chapeau, on riait comme des petites folles et on prenait un verre de vin à notre santé!

Le premier soir après un traitement, comme je me sentais toujours hyperactive et ultra-volubile, on restait debout à jaser jusqu'aux petites heures du matin. Elle couchait ensuite sur le divan et se levait tôt pour s'occuper de moi lorsque mes énergies, tout à coup, "crashaient". Avant de partir en fin de journée, elle m'avait préparé d'autre bouffe.

Elle m'apportait toujours des petits cadeaux originaux. Mon préféré était ce petit toutou en forme de vampire comme le personnage de Sesame Street. Elle le faisait parler avec le même accent transylvanien et comptait mes traitements: "One treatment, two treatments", etc. Et on riait ! Je l'ai encore sur mon bureau.

DEUX ENFANTS DE LA RÉVOLUTION TRANQUILLE

Murielle et moi, on est des enfants de la Révolution tranquille, mouture 1960. On s'est connues très jeunes dans le quartier ouvrier de Saint-Michel. Dans ce coin de Montréal très spécial, les "Canadiens français" étaient locataires et les Italiens, propriétaires. On était les deux seules filles francophones "parfaitement-bilingues-autodidactes" à frayer avec les petits Italiens qui, eux, évidemment, allaient à l'école anglaise. Les accommodements raisonnables, on connaissait déjà ça!

Murielle était du genre Elvis. J'étais plus Beatles. Elle était bonne vivante, super débrouillarde et terre à terre. J'étais l'intello maladroite et rêveuse. Murielle avait des cheveux noirs d'ébène. J'étais "châtaine pâle"… Plus différentes que ça, tu meurs!

Pourtant, l'amitié fut instantanée. Et elle dure toujours, même si Murielle a pris le bord des régions, il y a quelques années, lorsqu'elle a rencontré son âme sour. Un pilote d'avion, bien sûr!

Elle a quitté la ville et son salon de coiffure pour la campagne, l'eau, ses lapins et ses canards! Lorsqu'elle m'envoie ses photos "bucoliques", je trouve mon Plateau Mont-Royal pas mal moins beau…

Elle vit avec son amoureux. Elle est sereine, heureuse, et ça se voit. Elle ne vieillit même pas! Ah oui, j'oubliais. Nos deux mamans étaient aussi de grandes amies. La maman de Murielle, Claudette, est partie quelques années avant la mienne. Toutes deux sont mortes trop jeunes du même cancer.

Lorsque ma mère, Micheline, est tombée malade en 1994, elle aurait donné son âme au diable pour avoir Claudette à ses côtés pour lui tenir la main et la faire rire dans les moments de noirceur. Mais Claudette était déjà partie. C'est donc moi qui lui ai tenu la main, jusqu'à son dernier souffle, avant que Murielle ne vienne me rejoindre pour la veiller. Et c'est encore Murielle qui lui a acheté son dernier tailleur, bleu ciel, pour le salon funéraire, pendant que je restais à l'hôpital 24 heures par jour. Ni Murielle ni moi n'avons le moindre doute que Micheline et Claudette se sont enfin retrouvées "en haut" et qu'elles rigolent ensemble comme des gamines!

J'ai été plus chanceuse lorsque j'ai été diagnostiquée à mon tour. J'ai eu ma grande amie avec moi. La maudite maladie, on se disait qu'elle n'avait aucune chance face à deux têtes de cochon comme nous! C'est quand même fou, la prétention qu'on peut avoir à 35 ans… Heureusement…

Il y a deux semaines, mon chum et moi sommes allés voir L'Âge des ténèbres. On s'est retrouvés par hasard dans un cinéma de centre commercial dans l'Est de la ville. Arrivée au guichet, j'ai tourné la tête et j'ai aperçu, juste à côté, le salon de coiffure où travaillait Murielle à l'époque.

J'ai montré le salon à mon chum avec la même fierté qu'un parent montre l'école de son enfant: "C'est là que Murielle travaillait!" J'aurais donné cher pour que la porte s'ouvre, qu'elle en sorte et me crie comme elle aimait le faire: "Hey, Joe! Comment vas-tu, ma petite vlimeuse?"

Dans la carte de Noël qu'elle m'a envoyée, elle écrit: "T'es pas mal belle à la télé! C'était une bonne année, 1960!" You bet! Et pour nous deux!

Bonne année 2008, ma chère Murielle! Amour et santé à toi et ton amoureux. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi et que notre amitié nous accompagne pour toujours!