Voix publique

Changer de changement

Pour Barack Obama, on verra si le mot "changement" suffira à lui donner l'investiture démocrate ou les clés de la Maison-Blanche. Mais pour le moment, il lui donne des ailes!

Face à une Hillary Clinton ayant déjà fait le tour des jardins de Washington et à la suite de deux mandats désastreux de George W. Bush, la seule promesse de changement, n'importe lequel, lui donne autant de force que la potion magique d'Astérix.

La campagne démocrate s'est donc scindée en deux camps: celui de la "nouveauté" de Barack Obama et celui de l'"expérience" et de l'"establishment" – lire l'usure – d'Hillary Clinton.

Paradoxalement, cette stratégie de s'identifier au changement et d'assimiler son adversaire au statu quo n'a rien de nouveau. C'est en fait un grand classique en marketing politique. Si le candidat qui se prétend vierge réussit à apparaître comme tel face à un adversaire traînant en effet un lourd bagage politique, la stratégie a l'immense avantage de placer cet adversaire en situation de défensive constante et exténuante.

C'est ce que j'appelle la stratégie de la boîte de savon. Pour orienter les choix, on colle "nouveau et amélioré" sur le contenant, quitte à rester flou sur ce qu'on aura changé, ou non, au contenu du produit. L'important est de paraître plus innovateur que la concurrence. À ce compte, c'est Obama: 1, Clinton: 0.

Je m'excuse, mais tout ce débat sur l'expérience versus le changement me donne de l'eczéma. On l'a vu ici lorsque André Boisclair s'en est servi pour prendre la tête du PQ (pas que je veuille comparer Obama à Boisclair sur d'autres points ou faire passer Pauline Marois pour une victime). On l'a vu avec Mario Dumont jurant, lui aussi, de tenir tête à l'establishment des lobbys établis…

Pourtant, ni la nouveauté ni l'expérience ne sont garantes de quoi que ce soit. On a vu des hommes d'expérience sans imagination devenir chefs d'État et ne rien oser. Par contre, d'autres leaders d'expérience ont su risquer et innover.

Parfois, l'expérience est un frein à l'audace. Parfois, c'est l'outil crucial pour mener à terme des changements difficiles à opérer. Une seule constante: ça dépend toujours de qui dirige la barque. Quant à la promesse de "changement", il arrive qu'elle s'évapore dans le confort douillet du pouvoir. Mais il arrive aussi qu'elle se réalise.

Il n'y a pas de règle universelle où l'identification au changement ou à la continuité en garantisse la livraison. Ce serait vraiment trop simple!

LA BOÎTE À SURPRISES

L'audace et le changement ne se devinent pas d'avance. Ils s'avèrent ou non à l'usage. Il n'y a qu'un test pour savoir si un chef sera ce qu'il prétend être: l'exercice du pouvoir. Le problème, c'est que le pouvoir est une boîte à surprises. Un peu comme le mariage. Ce n'est qu'une fois dans la réalité de la chose que les belles promesses se concrétisent… ou non.

Dans ce jeu où la réalité ne reflète pas toujours les apparences créées pour séduire les électeurs, ajoutons l'impact du pouvoir de l'image. Lorsqu'une image séduisante enveloppe une rhétorique de changement, l'effet combiné peut être dévastateur. On se souviendra du génie avec lequel Pierre Trudeau a su manier cette combinaison magique. Parlez-en à Jean Charest, Pauline Marois et Stéphane Dion, qui cherchent une façon de rendre leur propre image plus attirante.

Dans le domaine de l'image, plusieurs ont été choqués par ces attaques vicieuses contre les rides d'Hillary, mais parce que celles-ci illustrent physiquement cette "expérience" qu'on lui reproche, les attaques ont peut-être plus porté qu'on ne le croit. Par opposition à Hillary, Obama a beau être noir aux États-Unis, il est jeune, beau, charismatique et un orateur hors pair. Il profite aussi sûrement du facteur Oprah Winfrey qui, de par son soutien, aura dédouané bien des femmes du "devoir" de faire d'Hillary la première présidente de la première puissance mondiale.

Par opposition à Bush, Obama est également cultivé et capable d'aligner deux phrases sans trébucher! L'effet de contraste par rapport à Clinton et Bush joue à plusieurs niveaux.

Mais, en bout de piste, la vulnérabilité des électeurs aux mots "changement" et "nouveauté" est souvent un indice d'insatisfaction élevée face à la manière dont leurs élites politiques du moment font, ou ne font pas, les choses. En liant ad nauseam Hillary à l'establishment de Washington, Obama touche précisément cette corde sensible.

Un peu partout dans ce monde, voyant la marge de manouvre de plus en plus réduite du politique vis-à-vis des pouvoirs économiques, les électeurs cherchent quelqu'un leur promettant de faire "autrement", de redonner à l'action politique ses lettres de noblesse.

Il suffit donc parfois que quelqu'un de nouveau leur dise: "Moi, je vais tenir tête à l'establishment!" pour que les électeurs fassent: "Wow!" Et ils font: "Wow!" parce que c'est ce qu'ils voudraient voir arriver. Pour vrai.

Ce qui, en effet, est déjà arrivé. Mais avouons que ça arrive de moins en moins souvent…