Voix publique

La déconstruction

Vous me connaissez. Je suis plutôt de nature sceptique. Je sais que je devrais me sentir rassurée par le refus de Philippe Couillard de suivre les principales recommandations de Claude Castonguay. Mais on ne se refait pas. Un doute subsiste.

Récapitulons. Jean Charest et sa sympathique ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, ont mandaté Castonguay. Ils l'ont fait tout en connaissant son rêve de transformer le système de santé en vache à lait pour le privé. Et là, mardi, coup de théâtre! Le ministre Couillard jette aux orties les recommandations qui vont pourtant dans le sens recherché par le premier ministre lui-même. Mais l'a-t-il fait de manière aussi tranchée que ça?

Voyons ce qu'il en retourne. Le bon docteur Couillard semble refuser la "mixité" – c'est ce qui permettrait aux médecins de faire le va-et-vient entre le public et le privé. On sait qu'en pénurie de médecins, la mixité est un véritable cheval de Troie capable de sonner le glas du public plus vite que vous ne pouvez dire "MasterCard". Mais le ministre lui ouvre la porte sous "certaines" conditions. Bref, plus tard, on verra.

Le ministre refuse d'étendre le recours aux assurances privées. Mais ayant lui-même créé cette brèche avec sa loi 33, seul un discret changement de règlement est nécessaire pour permettre aux compagnies d'assurances de se faufiler ailleurs.

Il considère comme "difficilement applicable" la franchise modulée selon les revenus et l'utilisation des soins. Cette franchise serait une véritable contre-Révolution tranquille, car un des principes de base de notre système universel de soins est justement de ne PAS faire une telle modulation afin d'éviter toute discrimination. Mais le ministre souhaite un "dialogue" sur le sujet. Quant aux 100 $ "volontaires" pour voir un médecin de famille, le ministre répond avec raison que ça ne les fera pas apparaître par magie. Et là, ça semble heureusement final.

LA NOUVELLE BAGUETTE MAGIQUE

Comme Castonguay, le ministre se dit par contre ouvert à la création d'hôpitaux gérés par des intérêts privés, ajoutant que "ça pourrait être fait comme projet-pilote éventuellement". Quoi? Vous voulez dire qu'on pourrait se retrouver à l'hôpital Molson, Power Corp. ou Rio Tinto? Non, merci.

Le ministre rejette aussi la SEULE bonne idée quant au financement: augmenter la TVQ. Comme je l'ai déjà suggéré en ces pages, il faudrait même récupérer les deux points de TPS abandonnés par le fédéral, soit au moins 2,5 milliards $ par année, le tout avec un impact minuscule sur notre revenu disponible.

Alors, où prendra-t-on l'argent? M. Couillard fait sienne la recommandation de Castonguay: en faisant des gains de productivité et de performance. Wow! Fallait y penser. Voilà la nouvelle baguette magique pour renflouer le public. Le ministre promet même de changer la "culture" du système en favorisant plus d'autonomie. Mais l'expérience nous dit que de tels "gains" sont longs à apparaître. Il arrive même de ne jamais en voir la couleur.

Bref, en attendant ce miracle, le gouvernement lèvera le nez sur 2,5 milliards $, soit par pur électoralisme, soit par dogmatisme idéologique, soit les deux. Il refuse aussi de diminuer le coût astronomique des médicaments comme l'a pourtant fait la richissime Colombie-Britannique en créant son Pharmacare.

LA DECONSTRUCTION

Pour le moment, M. Couillard ne fait que refuser de prendre le TGV Castonguay vers le méga-privé. Mais la réalité est que son gouvernement et le précédent ont laissé la privatisation de plusieurs services se glisser par la porte d'en arrière depuis des années. En fait, c'est déjà bien parti ici pour le privé! Le Québec est la province où les dépenses privées de santé sont les plus élevées (30 % ou 9,5 milliards $ en 2007). Et l'appétit du milieu des affaires venant en mangeant…

En revanche, il y a une cohérence à ce vent de commercialisation des services publics, à haute ou basse vitesse, qui n'est pas propre au Québec: continuer à réduire le rôle de l'État. Et la nature abhorrant le vide, le privé occupe le terrain laissé vacant par le public.

Mais ce qui est propre au Québec, c'est ce mouvement sourd venant de certains milieux d'affaires et politiques visant à défaire des outils de développement économique et de solidarité que cette petite société partie de loin s'est donnée. Castonguay ne s'en cache même pas: "Le temps est venu de redéfinir ce contrat social qui date de la Révolution tranquille" et "de l'adapter pleinement aux réalités du 21e siècle en fonction de l'avenir et non des ACQUIS du PASSÉ."

C'est pourtant bon, des acquis. On a travaillé pour. Et ce passé, il est plutôt rapproché. Pourquoi jetterions-nous par-dessus bord les acquis d'une Révolution tranquille qui, dans les faits, est encore fort récente? Évoluer? Oui et toujours. Mais dilapider ce qu'on vient à peine de bâtir pour en priver les prochaines générations? Ça, non.

Que ce soit en santé, dans la vente des Alcan, Domtar et autres ou l'achat de la Bourse de Montréal par Toronto, on sent comme une lente déconstruction, une certaine fragilisation de ce que Jacques Parizeau appelle la perspective québécoise des choses. Ça doit sûrement faire l'affaire de quelqu'un, quelque part… À moins, bien sûr, que les citoyens ne s'en mêlent de plus en plus.