Voix publique

Les élections, qu’ossa donne?

Le sondage d'opinion est une créature puissante. Il fait vendre des journaux, mobilise les analystes et sonde l'opinion autant qu'il l'oriente. Mais en démocratie, c'est un mal nécessaire.

Les chefs de parti refusent de le "commenter" en public pendant que leur machine sonde constamment et que les plateformes électorales en sont une copie presque conforme. Sans élections à date fixe, le premier ministre s'y fie presque entièrement pour en déclencher une. En situation minoritaire, les partis d'opposition vivent le nez collé sur les sondages, espérant voir LEUR fenêtre s'ouvrir pour faire tomber le gouvernement.

C'est ce que Stéphane Dion, chef du Parti libéral, attend désespérément pour faire tomber le gouvernement Harper. Malchanceux, les sondages contradictoires s'accumulent. Résultat: Dion multiplie lui-même les déclarations contradictoires, passe pour un chef indécis et ne fait rien.

Le sondage, censé être un élément parmi d'autres dans la prise de décision, commande de plus en plus. On sait pourtant qu'un sondage est surtout le reflet d'une opinion influencée par les circonstances d'un moment. L'opinion publique est changeante par définition.

Le but d'un parti qui défend des IDÉES est justement de la convaincre d'adopter les siennes, quoi qu'en disent les sondages. Le moment privilégié pour le faire s'appelle une campagne électorale. Politologue, Stéphane Dion le sait. Mais il semble l'avoir oublié depuis qu'il est politicien. Qu'il ait reculé cet automne pour éviter une catastrophe se comprend. Nul n'est tenu au suicide. Mais il faudra bien un jour qu'il passe le test électoral et nous montre ce qu'il a, ou non, dans le ventre. S'il attend LE sondage blindé, ça pourrait être long en bibitte… et un putsch pourrait le précéder. Qui sait ?

Les campagnes électorales des dernières années ont pourtant produit des revirements spectaculaires et des résultats contraires à ceux que les sondeurs avaient prédits lorsqu'un chef s'y est fié pour décider de sauter! La vie n'est pas une science exacte.

Quelques exemples. Élections québécoises de 2003: Landry se lance sûr de gagner, le PQ récolte son pire score en 30 ans. Élections fédérales de 2006: Harper entre en homme presque fini et sort premier ministre. Élections québécoises de 2007: Dumont traîne de la patte, mais prend l'opposition officielle pendant que le PQ prend le bord.

Parlant de sondages, prenons le plus récent, soit le CROP-La Presse du 26 février. Grosse nouvelle: 73 % des Québécois ne veulent pas d'élections hâtives au fédéral. Petit détail: on ne VEUT jamais d'élections. Mais si on suivait cette logique, il n'y aurait plus d'élections au Québec et l'Union nationale serait encore au pouvoir!

Et pourquoi parler d'élections "hâtives"? Le gouvernement Harper tient le coup depuis deux ans alors que la durée de vie moyenne d'un gouvernement minoritaire est de 18 mois. Comment ça, "hâtives"?

60 % prédisent que le prochain gouvernement fédéral sera minoritaire – un cas classique où une impression se transforme en prédiction. On pense que le prochain gouvernement sera minoritaire, libéral ou conservateur, alors qu'on ne le sait pas. On dit que comme il le sera (?), on n'a pas besoin d'élections. Comme si un gouvernement minoritaire libéral serait un clone du gouvernement conservateur…

Les sondeurs nous disent aussi que les électeurs aiment ça, des gouvernements minoritaires ! Ils croient qu'ils sont "mis sous surveillance" par les partis d'opposition. Une belle illusion d'optique. Les libéraux fédéraux ont tellement peur de faire tomber le gouvernement, parce qu'ils n'ont pas les "bons chiffres", que Harper gouverne en majoritaire. Exemple: grâce aux libéraux, Harper obtiendra un autre prolongement de deux ans de la mission de combat en Afghanistan. Sous surveillance ? Mon oil.

UN SUPPLÉMENT D'ÂME

Denis Lazure, cet homme hors de l'ordinaire, décédé à l'âge de 82 ans, se démarquait de bien des manières. L'une d'entre elles était son exceptionnelle jeunesse et ce, jusqu'à la fin. Pas en termes d'âge, mais d'attitude, d'audace, d'imagination, de besoin d'apprendre, de courage, de générosité de cour et d'esprit. Je ne referai pas ici sa biographie. Lisez plutôt ses mémoires Médecin et citoyen (Boréal). Vous en ressortirez meilleurs.

Dans mes dossiers, j'ai retrouvé la lettre de démission qu'il adressait à René Lévesque le 3 décembre 1984. Aux côtés de plusieurs collègues ministres, Denis Lazure quittait pour des raisons de principe, s'opposant au "beau risque" fédéraliste de Lévesque.

Reprochant au premier ministre de répéter ce que les sondages ânonnaient et ânonnent toujours (les Québécois ne veulent plus entendre parler de souveraineté ou de référendum), le docteur Lazure souhaitait que la lutte soit au contraire "active, de tous les instants et greffée en permanence à nos efforts de développement économique et social". Cela, écrivait-il, n'avait rien à voir "avec un programme électoral qu'on peut modifier selon les sondages d'opinion". Sa suggestion? S'élever avec une "certaine audace et une certaine volonté de mobiliser". Autres temps, autres mours… pour Stéphane et les autres.

Parmi toutes les causes qu'il a portées, sa défense entêtée des personnes handicapées à une époque où on les ostracisait par honte et ignorance était marquée de cette même audace et générosité de cour. Merci, docteur Lazure, pour votre supplément d'âme.