Christine St-Pierre se dit "très encouragée" par la situation du français au travail. On connaît son optimisme débordant. Mais encore une fois, elle manque le bateau.
On nous dit que les dernières données du recensement de 2006 sur l'utilisation des langues au travail montrent de bien beaux progrès pour le français au Québec. On nous dit que 65 % des immigrants utilisent le français au travail, soit 2 % de plus qu'au recensement de 2001. Méchant gain!
La ministre responsable de la loi 101, Christine St-Pierre, s'en est réjouie: "C'est un gain, pas un recul!" Bravo pour ses talents mathématiques. À moins qu'ils ne viennent de ses nouvelles chef de cabinet et attachée de presse – les précédentes ayant été "mutées" à la suite des cafouillages de St-Pierre dans l'affaire des études cachées de l'Office de la langue française.
Le problème est que le diable se cache toujours dans les détails. Dans les faits, seulement 55 % des immigrants récents parlent surtout le français au travail. Le fameux "65 %" est en fait l'addition de ce 55 % aux 10 % y parlant autant l'anglais que le français. Trente ans après la loi 101, ce n'est tout de même pas le pactole.
Si on obtient ce 55 %, c'est surtout grâce à la proportion accrue d'immigrants récents connaissant déjà le français ou venant de pays où on le parle, comme le Maroc, Haïti ou la Roumanie, ce qu'on appelle des immigrants francophones, francophiles ou francotropes. Bref, la force d'attraction du français demeure insuffisante auprès des immigrants allophones ou anglophones. Quant à la loi 101, son impact reste mitigé dans les lieux de travail.
Un autre diablotin caché dans les détails du recensement: chez les immigrants arrivés ici avant 1961, 47 % utilisent surtout l'anglais au travail. C'est vraiment, vraiment beaucoup! Chez ceux qui ont immigré entre 1976 et 1980, 27 % parlent surtout anglais au travail. Ce chiffre passe à 32 % pour ceux arrivés entre 1996 et 2000 et descend à 29 % chez ceux arrivés entre 2001 et 2005. Regardez bien ces dates et vous comprendrez à quel point le contexte politique joue un rôle déterminant, soit en faveur du français, soit contre lui!
Le français au travail se renforce entre 1976 et 1980, entre l'élection du PQ, l'adoption de la loi 101 et le référendum. Il perd ensuite du terrain entre 1996 et 2001, soit après la défaite référendaire et l'arrivée de Lucien Bouchard. En affirmant que tout renforcement de la loi 101 l'empêcherait de se "regarder dans le miroir", Bouchard avait envoyé aux nouveaux arrivants un message dévastateur pour le français : si même le PQ avait maintenant peur de la loi 101, pourquoi s'évertuer à la respecter?
Autres petits détails: seulement 24 % des anglophones parlent surtout le français au travail – une baisse de 4 % depuis 2001. Chez les allophones (de langue maternelle autre que le français ou l'anglais), 45 % parlent anglais au travail, seul ou avec une autre langue. Un autre 12 % y parle autant l'anglais que le français. Même chez les immigrants les plus récents – donc avec plus de francophones ou francophiles -, 32 % des allophones parlent surtout l'anglais au travail. Alors, si vous avez la perception que le français occupe un terrain insuffisant au travail pour une langue majoritaire, vous ne vous trompez pas.
Respirez par le nez pour la donnée suivante: seulement 38 % des résidents de l'Ouest de l'île de Montréal utilisent le français au travail, seul ou même avec une autre langue! Oui, oui, au Québec…
TOUT ÇA POUR ÇA
Après ces chiffres et la confirmation récente que le français recule à Montréal comme langue maternelle ou d'usage, Statistique Canada conclut finalement que la place du français au travail à Montréal est DEMEURÉE STABLE! Mais la ministre, elle est contente.
Au moment de mettre sous presse, on attendait le rapport quinquennal de l'OQLF, prévu pour le 5 mars. Ce sera aussi à décortiquer. Tout comme le sera le mystérieux plan d'action promis par Christine St-Pierre pour la fin mars.
En attendant, résumons. 1) La force d'attraction du français ici est encore à des lunes de celle de l'anglais dans le reste du Canada. 2) Ses progrès relatifs sont surtout dus à l'arrivée récente d'un plus grand nombre d'immigrants parlant le français ou venant de pays où il est présent, ainsi qu'à l'usage accru du français au travail comme langue SECONDAIRE ou circonstancielle avec l'anglais. 3) Comme langue principale au travail à Montréal, là où il concurrence l'anglais, le français avance lentement, trop lentement.
Bref, Pauline Marois s'est égarée en s'attardant autant au "bilinguisme" alors que le français peine encore à dominer nettement là où il se mesure à l'anglais.
VOUS AVEZ DIT "MAJORITAIRE"?
Une belle illustration en est ce qui se passe à l'hôpital Lachine de Montréal. Le gouvernement Charest veut le fusionner avec le réseau anglophone de McGill. Comme quoi les "fusions forcées" ne sont pas le monopole du PQ! Craignant que l'hôpital ne perde son autonomie, plusieurs médecins, infirmières et citoyens s'y opposent. Ils craignent aussi qu'avec le temps, au gré des échanges de personnel, l'anglais ne s'y installe comme langue de travail au même titre que le français.
Dites-le-moi si j'ai tort, mais n'est-ce pas là le genre de danger qui guette normalement une langue minoritaire, et non celle de la majorité?
La francisation pour les nuls
Les nuls en préparation des repas recourent aux plats pré-cuisinés. Les édentés se nourrissent d’aliments pré-digérés.
Voilà que pour maintenir tout juste l’usage du français au travail chez les nouveaux arrivants à Montréal, le Québec ne s’en tire qu’en sélectionnant massivement des immigrants pré-francisés. Car disons-le bien, les analystes de Statistiques Canada eux-mêmes admettent que c’est à une forte hausse de la proportion d’immigrants maghrébins connaissant le français avant leur arrivée au Québec qu’on doit le statu quo de la part notre langue officielle au travail chez les immigrants dans la métropole.
Ce que démontrent donc les tout récents chiffres du recensement, c’est que le marché du travail montréalais actuel francise moins qu’en 2001. Bref, même un demi-siècle après l’indépendance de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie et tutti quanti, le passé colonialiste de la France fait davantage progresser le français langue du travail à Montréal que notre loi 101.
Avis à nos législateurs : la Charte québécoise de la langue française dans sa forme actuelle est manifestement au bout de son rouleau.
Le français en arrache et madame St-Pierre porte des oeillères. Elle est loin d’être la seule.On semble avoir concédé la victoire. Le problème est plus profond que celui de la langue. Il s’agit d’abord d’un problème de culture. À mon avis, c’est là où le bât blesse.
La culture québécoise est-elle française ?
Julius Grey a dit récemment que l’anglais fait partie de la culture québécoise. Non. Peut-être. Oui.
Dans combien de pays, est-il possible d’entendre à la radio, à la télévision autant de chansons dans une langue qui n’est pas la langue maternelle ? La culture passe par les jeunes et nos jeunes sont fascinés par la langue anglaise. Ils ont l’impression que tout ce qui se fait en anglais est meilleur, plus « hot » plus « cool »…Et on en remet. Récemment, ce n’est pas le PQ qui a fait la preuve du contraire…
Ils écoutent la télé en anglais aussi ou des émissions traduites: 24 heures, Dr Grey, Perdus, etc…. Ils s’identifient aux héros de films américains. Le seul domaine qui n’est pas encore atteint par l’anglophilie galopante semble la littérature. Je ne pense pas qu’ils lisent en anglais, mais je ne pense pas non plus qu’en dehors des lectures obligatoires, ils lisent beaucoup en français. L’internet avec son MSN, Facebook, Youtube leur donne l’impression de posséder l’univers. Le langage n’est plus le français là non plus.
Quels sont les derniers livres desquels ils vont vous parler ? Harry Potter, Da Vinci Code, Kathie Reichs…quoi d’autres? Demandez-leur de nommer un auteur québécois à part Michel Tremblay… de nommer un auteur français…ou qui écrit en français.
Soit, ils lisent en anglais, soit, le plus souvent, ils lisent des traductions de l’anglais. Il y a un malaise..on ne fait pas ou on fait mal la promotion de notre culture. Une culture québécoise avec un petit Q.
Qui sont leurs idoles ? Britney qui dégringole? Céline qui chante en anglais, qui triomphe en anglais ( et ce, même si elle s’exprime en français)? Simple Plan ? Fifty cents? les Spice Girls?
On regarde Belle et Bum ( une excellente émission), mais il y a plus
( lisez avec le ssssss) de chansons en anglais qu’en français. C’est pathétique!
Combien de chanteurs, de chanteuses francophones incluent maintenant quelques mots en anglais dans leurs chansons ou tout simplement font un album totalement en anglais? À Québec, le soir du Jour de l’An, dans le cadre du spectacle inaugural du 400 ième, sur le coup de minuit, Pascale Picard Band…En anglais seulement. ( ce n’est pas qu’elle n’est pas intéressante, là n’est pas la question) J’ai manqué me mettre à pleurer. Quel beau symbole de l’avenir du Québec.
VLB brûle ses livres, on le prend pour un fou. Pas si fou que ça, le bonhomme. Le feu est pris dans la cabane pis les pompiers dorment au gaz…
Si je faisais de la politique, j’agirais auprès des jeunes. J’investirais dans la promotion de la culture en français, de la fierté de parler français.
Présentement, notre culture en français ? À part le joual, la poutine et le pâté chinois, chus pas sûre pantoute.
Madame Bourgon,
Au delà de la responsabilité individuelle, il y a la responsabilité sociale. Vous critiquez la consommation culturelle des Québécois. Ils consomment ce qu’il y a de disponibles. Les émissions que vous mentionnez sont, dans l’ensemble, diffusés à TVA.
Dans les bibliothèques scolaires, il n’y a pas de diversité. De plus, si un enseignant a le malheur de demander aux parents de débourser des sommes supplémentaires pour l’achat de livres, c’est un scandale. On clâme la gratuité scolaire!
Les revues pour adolescents sont remplies d’informations sur les vedettes américaines.
Par contre, je ne suis pas d’accord avec vous. Si Harry Potter n’avait pas exigé, est-ce que Bryan Perro aurait été aussi populaire? De plus, il y a plusieurs auteurs jeunesses qui écrivent en français.
Le Québec a voulu s’ouvrir sur le monde! L’américanisation de la culture est une conséquence de cette ouverture.
Pour investir dans la promotion de la culture française, il faut plus qu’une simple volonté gouvernementale, il faut une volonté populaire et collective!
Est-ce qu’un commentateur (trice) d’opinion franchement souverainiste, a quelque intérêt que ce soit à trouver la moindre lueur d’espoir pour l’avenir du français au Québec? Ou est ce qu’en exagérant la menace de l’anglais et en se vantant comme étant les seuls vrais défenseurs du français et la souveraineté comme la seule voie d’évitement de l’extinction culturelle, de trouver du positif dans les statistiques serait commettre le grand crime de lèse-souveraineté?
Le recensement de 2006 nous apprend qu’il existe de moins en moins de Québécois et de Montréalais qui ne parlent pas français, que de plus en plus d’allophones adoptent le français comme langue d’usage, que de plus en plus d’allophones et d’anglophones utilisent le français au travail. Ce devrait être de très bonnes nouvelles en soi. Hélas, ceux qui trouvent cela encourageant seraient des jovialistes aveuglés qui n’ont pas compris que tant qu’il existera des commis anglophones à Westmount qui parlent anglais à leur clientèle anglaise, le français sera toujours menacé par l’anglais dominateur.
Aux armes citoyens, la patrie est en danger, formez les bataillons crie-t-on. Il faut serrer la vis, renforcer les lois, vite avant qu’il ne soit trop tard et que VLB finisse de brûler l’ensemble de son oeuvre.
Comme si une armée de fonctionnaires patrouillant tous les dépanneurs coréens allait renforcer quoi que ce soit. Au contraire. La toute petite diminution de langue maternelle française sur l’île, très prévisible d’ailleurs, est dûe en grande partie à l’étalement urbain et la fuite vers les banlieus des jeunes familles. Qui prône des politiques qui ferait payer les coûts de l’étalement urbain par l’industrie du bungalow et qui renverseraitrait l’exode ? Personne, pourtant ce serait si simple à faire et beaucoup plus efficace que des contrôles tatillons sur les PMEs déjà éprises de bureaucratite aigue de la part de nos bons gouvernements.
Faut croire qu’il est plus utile pour sauver la langue que d’imaginer des complots secrets voulant nous cacher la « vérité » alors que le recensement est publié et disponible facilement.
L’avenir de la langue française au Québec est beaucoup trop importante pour le laisser dans les seules mains des souverainstes. Leur réaction viscérale à toute bonne nouvelle et leur propension à vouloir réagir promptement à la moindre statistique négative est de très mauvais conseil et peut donner des conséquences involontaires néfastes.
Mme St-Pierre a tout à fait raison de respirer par le nez, de réféchir , de consulter avant d’agir. C’est démontrer un sens de responsabilité que, pour des raisons bassement électorales, trop peu de souverainistes comprennent .
Monsieur Lacasse,
Je ne suis pas fière de la situation actuelle. Au contraire. Je suis d’accord avec vous quans vous écrivez qu’il s’agit de responsabilité sociale. Je faisais tout simplement un constat. On ne proteste pas, on ne force pas les chaînes de télévision à nous offrir plus de produits québécois. On ne voit plus ce qu’il y a d’insidieux dans cela. Même que, la plupart du temps, on trouve ça plate, le produit québécois. Les producteurs d’ici manquent d’argent pour produire des produits concurrentiels.
Pour les bibliothèques scolaires, quand elles existent, vous avez raison: peu de diversité. La ministre Courchesne vient de débloquer des fonds; à nous de les utiliser à bon escient.
Les revues pour ados ne nous parlent que de vedettes américaines ?
À nous d’exiger qu’on nous parle des nôtres.Comment faire ? On n’achète pas ou on achète moins. On lit autre chose.
Brian Perro est un excellent auteur, mais pourquoi faut-il qu’Harry Potter existe pour que Perro soit lu ? Il possède sa propre magie.Nos auteurs jeunesse sont formidables et dans ce domaine, il y a une vitalité peu commune. Encore là, stimulons la lecture de nos propres auteurs.
Je souscris entièrement à votre dernière affirmation. Nous reste-t-il assez de temps?
Ce qui est très clair c’est qu’un gouvernement libéral élu majoritairement par la population du Montréal anglophone ne peut que pratiquer le déni envers la situation de la langue française dans la métropole. Ce n’est pas de la démagogie que de dire cela c’est simplement faire l’observation d’ une élémentaire réalité politique quoique en disent certains.
Ajoutons ceci. La loi du marché dans le domaine linguistique ne peut favoriser sur le continent nord américain que la langue dominante qui est l’anglais. Une évidence qu’il faut rappeler à plusieurs qui confondent l’économique avec le social. De là la nécessité du rôle de l’État du Québec afin de rétablir l’équilibre.
Et que dire, en plus, de tous ces « nostalgiques » qui croient qu’une « souveraineté-association-indépendance » (ou whatever!), arrachée par la « peau des dents », règlera, une fois pour toutes, la survie de la langue et de la culture québécoises alors que dans 25 ans, « indépendance » ou non, nous serons définitivement minoritaires au Québec pour le meilleur ou pour le pire! La « duchesse de l’île Bizard » peut toujours « tenir salon »: parle, parle, jase, jase…!
@ M. Jean Pierre Bouchard
Selon le dernier recensement de 2006, exactement 10% de la population du Québec parle l’anglais à la maison. Si je suis bien votre logique, 10 % de la population contrôle l’autre 90% et ce serait une réalité politique plus qu »évidente. C’est votre opinion, mais de là à ce que ce soit une vérité absolue…, ce serait de la démagogie toute contestation des opinions non fondées sur les faits, bon.
Est-ce que vous pouvez au moins reconnaître qu’il y a une limite pratique à légiférer sur une question aussi délicate que la langue, sans provoquer des conséquences contraires à celles souhaitées.
Quand vous parlez de loi du marché, au Québec la consommation de produits culturels « made in Quebec » ( cinéma, TV, revues, journaux, théatre etc) dépasse très largement le pourcentage similaire dans le ROC, et ce souvent par un facteur de 10. Par exemple, comment expliquer que dans un monde de 300 chaînes TV, dont 280 en anglais, la télé québécoise remporte le concours facilement. Pourtant, libre à nous d’écouter ce que nous voulons. Va-t-il falloir que notre état limite ce choix, ou sommes-nous capables de vivre avec la concurrence?
Faudrait-il chasser le Cirque du Soleil du Québec parce que la langue de travail des artistes est l’anglais? Bombardier vend une infime partie de ses produits au Québec et la langue de travail dans presque toutes ces directions mondiales est l’anglais. Est-ce une menace à notre culture ou une opportunité économique immense ? Comment définir l’équilibre dont vous parlez? Vous dites qu’il ne faut pas confondre l’économique avec le social alors qu’ils sont indissociables.
Les immigrants vont s’intégrer d’abord à ceux qui réussissent économiquement. Autrefois c’était les anglophones qui dominaient notre économie. Depuis que les francophones reprennent leur place aux rênes de l’économie, les immigrants s’intègrent de plus en plus à eux. C’est tellement évident ça crève les yeux. Demandez à n’importe quel immigrant et il vous le confirmera.