Voix publique

La vie, et rien d’autre

À chaque mort médiatisée, la question revient nous hanter. Cette fois-ci, c'est celle de Chantal Sébire – une jeune femme atteinte d'une tumeur causant une douleur extrême qu'aucun médicament n'arrivait à soulager. Morte seule chez elle, la justice française lui avait refusé le droit d'être aidée par un médecin à mourir avec un peu de paix et de dignité.

Avant elle, ce fut la mort des Sue Rodriguez, Marielle Houle, Nancy B. et Manon Brunelle. Le gouvernement canadien s'entêtant à ne rien changer, d'autres noms sont condamnés à s'ajouter à la liste. Un jour, ce sera peut-être le mien, le vôtre ou celui d'un ami ou d'un membre de votre famille.

Le sujet du suicide assisté n'est pas très jojo, mais le balayer sous le tapis n'est pas une option. On a beau vivre plus longtemps et bien botoxés, la mort est aussi inéluctable que les taxes. Dans nos sociétés de fous, on prépare la naissance avec soin, mais on traite souvent l'étape finale comme un tabou.

UNE ACTIVITE A GEOMETRIE VARIABLE

De fait, la mort est une activité à géométrie variable. Certains l'ont rapide, foudroyante ou presque indolore. Mais beaucoup l'ont souffrante et longue. Certains l'ont coussinée par un gros compte en banque. D'autres l'ont dans un corridor d'urgence débordée. Certains ont accès à des soins palliatifs encore trop rares, à l'hôpital, dans un centre spécialisé ou à domicile. Pour ceux-là, on réussit souvent à contrôler la douleur physique et émotive suffisamment pour "vivre" et préparer la mort dans la dignité et bien entouré. On y aide aussi énormément les familles.

En 1995, c'est ce que ma mère a vécu dans une unité exceptionnelle de soins palliatifs d'un grand hôpital public. Bien humblement, j'ai pu observer une chose ou deux pendant cet accompagnement privilégié de ma maman ainsi qu'au long de mes années de bénévolat dans la même unité.

J'y ai constaté que même dans des souffrances non contrôlées, plusieurs veulent vivre jusqu'au dernier moment possible. L'instinct de survie, même dans les pires conditions, est d'une extrême puissance. Mais il y a aussi ceux et celles qui demandent clairement et de manière répétée qu'un médecin les aide à mourir lorsque plus rien ne soulage leurs douleurs. C'est ça, le suicide assisté. Et nul ne peut juger de la nature de cette demande. Ni moi, ni vous, ni un curé, ni un imam, ni un rabbin, parce qu'en bout de piste, chacun est seul face à sa mort. Le problème, c'est qu'au Canada, tout médecin ou autre personne coupable de fournir cette aide est passible de 14 ans d'emprisonnement.

Le suicide assisté, ce n'est sûrement pas la mort idéalisée d'un riche bourgeois dans un chalet cossu comme celle des Invasions barbares! Mais c'est la possibilité, dans des situations intenables, de partir en toute conscience et de s'y préparer. C'est l'exception à la règle, mais ces exceptions méritent respect.

Cette variété d'expériences humaines face à la mort nous oblige à faire trois choses en même temps: augmenter les soins palliatifs de toute nature; offrir un soutien financier réel aux aidants naturels; accorder le droit au suicide assisté par un médecin sous des conditions strictes, supervisées et balisées.

LA MERVEILLEUSE ENTETEE

Sur le plan législatif, c'est ce que la députée bloquiste Francine Lalonde tente de faire depuis des années. Cette merveilleuse entêtée est la marraine d'un projet de loi privé sur le droit de mourir dignement. S'inspirant en partie de la Suisse, de la Belgique ou de l'État de l'Oregon, voici comment Mme Lalonde décrit son projet de loi: "Il vise à préciser les conditions qui permettraient d'aider une personne en fin de vie ou atteinte d'une maladie débilitante à mourir dignement quand elle en a exprimé clairement le désir, de manière libre et éclairée." Qui dit mieux?

Ce que Mme Lalonde et tant d'autres tentent de faire, c'est aussi de mettre fin à l'hypocrisie régnant dans les hôpitaux canadiens où ce qu'on appelle l'"euthanasie passive" se pratique de plus en plus. Parfois par compassion, parfois pour sauver de l'argent, pour ne pas violer la loi ou face à des familles épuisées, des médecins administrent un puissant cocktail de médicaments ayant comme effet que la personne mourante glisse dans un coma dont elle ne se réveillera jamais.

À première vue, ça semble correct, même humain. Mais dans les faits, le patient est rarement informé d'un coma qui le privera justement de son droit de décider de sa mort. Ceux dont le choix aurait été de vivre jusqu'à la dernière minute se font ainsi "voler" leur fin de vie. Ceux, par contre, qui auraient désiré un suicide assisté se font "voler" une mort pleinement consciente. La loi canadienne est une belle hypocrite.

Certains diront que le suicide assisté est immoral. Les principales religions diront que la douleur est "rédemptrice" et que seul Dieu peut décider de la vie et de la mort. Au moment où les fondamentalismes montent et les lobbys religieux sont plus présents que jamais dans les coulisses du gouvernement fédéral, on nous dira aussi que la vie est trop "sacrée" pour qu'on y mette fin consciemment.

Je sais que le sujet est complexe et ne saurait être résumé dans une chronique – ce que je ne prétends pas faire ici. Mais n'y a-t-il rien de moins respectueux pour la "vie" que de continuer à nier l'importance d'une mort plus digne, quelle que soit la nature du choix qu'on en fait?